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31 mai 2020

Le Cas Richard Jewell

Petit Eastwood ? Grand Eastwood ? A chaque nouvelle cuvée, la question se pose. Le Point semble avoir tranché... Je serai moins catégorique de mon côté, même s'il s'agit à l'évidence d'un bon Eastwood, d'un Eastwood tout à fait correct. On constate au passage que cela faisait un sacré bail que le vieux Clint n'avait pas réussi à enchaîner deux films à peu près valables. Peut-être faut-il remonter à 2003 et 2004, Million Dollar Baby puis Mystic River, quand bien même ce dernier a sans doute fort mal vieilli... Bref, je laisse ce débat aux tintinophiles et à tous les fans hardcore du bonhomme. Une chose est sûre : bien qu'inférieur à The Mule, Le Cas Richard Jewell est un Eastwood honnête, plaisant à suivre, peut-être douteux sur certains points, mais animé, au fond, d'une espèce de chaleur humaine qui fait plutôt du bien, par les temps qui courent. On retrouve en effet au cœur du film la relation de trois personnages : Richard Jewell, son avocat et sa mère, respectivement campés par Paul Walter Hauser, Sam Rockwell et Kathy Bates. Ainsi, plutôt que nous livrer un énième film dossier cherchant à coller au plus près aux moindres détails d'une affaire réelle, celle de ce pauvre type qui, après avoir été le héros d'un jour pour avoir sonné l'alerte à la bombe lors des JO d'Atlanta devint le principal suspect du FBI et des médias, Clint Eastwood préfère donc se concentrer sur l'humain, sur l'émotion et plus précisément sur les liens qui unissent ces trois protagonistes. C'est en tout cas ce qui domine assez largement le film et aussi ce que l'on préfèrera retenir plutôt que de repenser au personnage ultra caricatural de la journaliste prête-à-tout incarnée par Olivia Wilde, dans un rôle à la mesure de son talent, et au portrait univoque qui nous est dressé du FBI lors de cette enquête où il suffisait visiblement de faire le trajet à pied entre une cabine téléphonique et l'emplacement de la bombe pour piger que Dick Jewell était innocent.




Ce nouveau film d'Eastwood doit beaucoup à ses acteurs, en particulier Paul Walter Hauser et Sam Rockwell, drôle de tandem à l'intelligence inégale mais soudé et déterminé à résister à la tourmente médiatique ainsi qu'aux viles manigances du FBI. Le talent des acteurs n'enlève rien à la jugeote du cinéaste ou de quiconque a eu cette très chic idée d'engager un acteur peu connu pour jouer Richard Jewell. Pour une fois, on ne se tape pas une vedette physiquement transformée qui vient nous faire son petit numéro (fut un temps où Jonah Hill et Leonardo DiCaprio étaient attachés au projet, on n'a rien contre eux mais, ici, on ne les regrette jamais). Paul Walter Hauser est impec là-dedans, avec son énorme bouille et son allure bedonnante, il parvient assez subtilement à se démarquer de ces autres figures de héros benêts bien connus. Quant à Sam Rockwell, lui qui d'ordinaire à tendance à cabotiner, à en faire trop, à se regarder jouer, il est ici parfait, juste comme il faut. Là encore, une partie du mérite peut revenir à Clint Eastwood pour avoir su le diriger et le canaliser ainsi. Le meilleur moment du film est sans doute cette scène où l'on se rapproche le plus de la comédie : quand Richard Jewell ne peut s'empêcher de parler aux agents du FBI venus faire une perquisition chez lui alors que son avocat lui a fermement recommandé de la boucler. Il faut voir les regards qu'adresse Rockwell à Hauser et les moues contrites de ce dernier en retour. Une scène très cool, qui cristallise bien ce qui se joue entre les deux hommes et qui s'adjuge également une bonne fois pour toute la complicité du public. L'espèce d'amitié qui se développe entre l'avocat et Jewell est assez jolie, simple, et ils ne sont pas si fréquents les films américains qui, aujourd'hui, osent tout simplement dépeindre ça. Je n'ai rien dit sur Kathy Bates, parce qu'elle fait le taff comme à son habitude, que voulez-vous : on voit la mère de Dick Jewell et à aucun moment l'actrice de Misery et compagnie. On est convaincu qu'elle a bel et bien passé la journée à cuisiner des gâteaux à son con de fils et qu'elle veut à tout prix récupérer ses tupperwares subtilisés par le FBI. Là aussi, Clint Eastwood pose un regard assez tendre et sensible sur cet amour maternel sans faille.




Clint Eastwood questionne donc encore la figure du héros, comme il le fait depuis tant de films maintenant. Après le pitoyable 15h17 pour Paris, où il filmait le plus platement du monde une bande d'arriérés mentaux devenir les sauveurs des passagers d'un train pris pour cible par des terroristes, il nous montre encore que derrière un gros lard un peu débile peut se cacher une âme sainte, un héros au cœur pur, un type profondément bon qui cherchait juste à faire son travail comme il faut. Mais plutôt que de nous démontrer par l'absurde ce qui peut pousser un homme à agir de façon héroïque, il se penche surtout ici sur l'incrédulité d'un brave gars face à un mécanisme, presse et fédéraux, qui le dépasse totalement. Le discours est assez convenu, un peu grossier, certaines ficelles sont dures à avaler (comment Richard Jewell peut-il encore ignorer qu'il est devenu le suspect numéro 1 quant le FBI vient pour la première fois chez lui, alors que sa mère est scotchée à la télé H24 ?), et l'on sent plus d'une fois que la mise en scène de Clint Eastwood est en mode pilote automatique (quelques secondes de trop sur la Macarena et des mouvements d'appareils pas toujours très heureux qui donnent l'impression d'un travail vite fait pas si bien fait, etc.) mais on se laisse aller sans souci devant ce 38ème film du vétéran, qui doit déjà être en train de boucler le 42ème. Un film qui, peut-être, ne marquera guère nos mémoires de cinéphages au fer rouge, mais qui n'enlève rien à la légende du pistolero, tout en y ajoutant pas grand chose non plus, vous me suivez ? En tout cas, c'était la deuxième fois de sa vie que mon frère Poulpe aka Brain Damage versait sa petite larme devant un film de fiction depuis la mort tragique par électrocution du squale mangeurs d'hommes à la fin des Dents de la Mer 2. Et la première fois tout court qu'il chialait en contemplant un américain obèse manger goulument son donut. Un véritable tour de force !


Le Cas Richard Jewell de Clint Eastwood avec Paul Walter Hauser, Sam Rockwell et Kathy Bates (2020)

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