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22 mars 2020

Le Mans 66

Le Mans 66 est un film plutôt plaisant, assez agréable à suivre, je ne remettrai pas cela en cause. A l'heure où les films américains de cet acabit se font si rares, et c'est sans doute pour cette raison-là que celui-ci s'est particulièrement fait remarquer, nous n'allons pas bouder notre plaisir. James Mangold sait raconter son histoire et rythmer son récit, les enjeux sont très rapidement et clairement définis : pile ce qu'il faut pour que l'on accepte de se laisser porter pendant plus de deux heures trente. On nous retrace donc la rivalité entre Ford et Ferrari qui marqua la compétition automobile durant les années 60 et atteignit son climax lors des 24 heures du Mans de 1966. Cela nous est évidemment conté du point de vue américain, à travers le double portrait de Carroll Shelby, ancien vainqueur de la course mythique devenu constructeur automobile, que Ford chargea d'inventer la voiture la plus performante possible, et Ken Miles, un type imprévisible, au caractère bien trempé, mais un as du volant sans pareil, choisi comme pilote par Shelby himself contre l'avis de ses supérieurs, qui considéraient que son image un peu toquée ne collait pas avec celle, ultra clean, de la marque étendard de la bannière étoilée.




Sur le plan de la rivalité entre les deux « écuries » (je mets les guillemets par précaution car j'ignore si j'emploie le bon terme et je n'aimerais pas froisser les experts), il n'y rien à dire, James Mangold dépeint ça très proprement. Il nous vend bien l'Amérique, Ford et leurs bagnoles. Pour peu que vous soyez intéressé d'en apprendre un peu plus sur l'histoire de la compétition automobile, vous sortirez du film en en sachant davantage. Pour ma part, j'ai par exemple appris que la fameuse course des 24 heures du Mans se déroule bel et bien au Mans, dure une journée entière, et qu'elle consiste à répéter dûment le tour d'un circuit que l'on accomplit en moins de 4 minutes si l'on se débrouille à peu près. Imaginez l'angoisse... Je croyais qu'il s'agissait de partir d'un point A pour arriver à un point B, ce qui est tout de même plus valorisant, comme c'est le cas, à ma connaissance, sur le Paris-Dakar, le Tourmalet ou le Grand Prix de Monaco... En revanche, je n'ai toujours pas compris comment l'on peut désigner le vainqueur d'une course qui doit, de toute façon, durer 24 heures. C'est à celui qui a dûment effectué le plus de tours durant ce laps de temps ? Mais alors comment se fait-il que les commentateurs disent d'un pilote qu'il a 3 minutes de retard sur un autre et que la course puisse se terminer à la ligne d'arrivée ? Ils en ont tous pour 24 plombes, non ?! Rien ne sert de courir... Bref, fermons-là la parenthèse.




Pour ce qui est de l'aspect plus humain de l'histoire, à savoir l'amitié entre Ken Miles et Carroll Shelby, c'est une autre affaire. James Mangold s'avère un peu moins doué, malgré les deux acteurs qu'il a à sa disposition. Le duo était plutôt prometteur à l'affiche, Matt Damon faisant généralement le taff et Christian Bale brillant toujours davantage lorsqu'il est un sidekick et qu'il bosse en binôme (on se souvient de sa prestation oscarisée dans The Fighter où il était le coach efflanqué de Mark Wahlberg). Il fonctionne effectivement à l'écran, mais de façon bien trop ponctuelle, il n'est pas suffisamment exploité, et c'est fort dommage. Christian Bale livre de nouveau une solide performance en parvenant à donner vie au pilote un peu cintré qu'est Ken Miles. L'acteur pourrait lasser, avec ces transformations à répétition et son élocution si particulière, mais force est de constater que ça marche encore : on voit son personnage, et non Christian Bale nous refaire son petit numéro. Il réussit à s'éclipser derrière la figure de Ken Miles, laissant libre cours à son accent british (origine britannique du pilote oblige). Forcément plus sobre, comme le lui dicte son rôle, Matt Damon est impeccable aussi. Pourquoi donc James Mangold n'en tire pas quelque chose de plus consistant ? Ce n'est qu'à la toute fin du film que Carroll Shelby se livre un peu, laisse percer un peu d'émotion, mais son acolyte est déjà parti en fumée, littéralement, et c'est d'autant plus frustrant.




Peut-être suis-je aussi nostalgique des buddy movies des années 80-90, mais je regrette que Le Mans 66 n'aille pas davantage dans cette voie et, surtout, ne mette pas plus au premier plan la relation des deux protagonistes, dont les personnalités opposées auraient dû donner plus d'étincelles (la scène de bagarre fraternelle paraît un peu forcée...). Soit dit en passant, je constate que cela fait plusieurs films américains récents qui, malgré les apparences et les promesses affichées, des couples d'acteurs intéressants et une durée suffisante pour le faire, me semblent échouer à dépeindre une belle amitié et refusent de donner dans la comédie, le buddy movie, avec son lot de scènes drôles et de complicité attendues qui nous permettraient d'apprécier les personnages et de nous réjouir de leurs interactions. Je pense au dernier Tarantino, qui lui aussi dure pourtant presque trois plombes, et était très faible sur ce plan-là (comme sur bien d'autres...). Il ne s'y passe quasiment rien entre Leonardo DiCaprio et Brad Pitt. On finit ces (longs) films en trouvant tous ces personnages, au mieux, vaguement sympas, et en n'ayant pas vraiment été touchés par leur amitié. Triste, non ?




Aussi (et c'est d'ailleurs un autre point commun avec Once Upon a Time in Hollywood...), le traitement des personnages féminins dans Le Mans 66 n'est pas des plus finauds. Il n'y en a, à vrai dire, qu'un seul à l'écran : l'épouse de Ken Miles, incarnée par Caitriona Balfe. Celle-ci passe son temps les mains sur les hanches, dans de jolies robes sorties du la collection printemps-été 66, l'air de se dire "Mon mari est une vraie tête brûlée mais si ça lui fait plaisir de risquer sa vie dans ces bolides, je n'ai rien à dire et je suis prête à encaisser la tête haute son inéluctable mort accidentelle". Ce personnage est simplement là pour nous offrir quelques moments au romantisme très niais sans doute assumé mais néanmoins embarrassant. A l'évidence, les scènes les plus faiblardes du lot. Celle, assez longue, de prise de bec en voiture où, pour une fois, madame est au volant et menace de garder le pied sur l'accélérateur si son mari ne lui avoue pas ses projets, est sans doute la plus pénible de toutes. Si c'est pour faire ça, franchement, autant ne donner aucune place à la femme de Miles et grappiller quelques minutes sur la durée totale.




Pour compléter le tableau, évoquons les courses en bagnoles, un point essentiel, car pour réussir ton film de courses de bagnoles, eh bien il faut... réussir tes courses de bagnoles, c'est la base. Telles qu'elles sont filmées par James Mangold, disons-le tout net, elles ne rentreront pas dans les annales de l'histoire du cinéma. Elles sont assez lisibles, certes, nous comprenons tout ce qui s'y passe, et nous sommes plutôt pris dedans, ce qui est déjà pas mal par les temps qui courent, mais c'est mis en boîte sans génie et je n'étais pas non plus scotché à mon fauteuil comme je l'espérais. Je crois avoir pris plus de plaisir devant le Rush de Ron Howard. Ron Howard a fait mieux. C'est toujours pénible de se dire ça, non ? Ron Howard a fait mieux. Ron Howard, quoi. Tu arrives à vivre avec ça, James ? Si je m'appliquais à faire, je ne sais pas, une bonne omelette, la meilleure possible, et que l'on me disait, après l'avoir goûtée, "Ok, ça va... mais Ron Howard en fait des meilleures", je l'aurais en travers, croyez-moi. Je pense que j'arrêterai la cuisine, ou bien je retournerai à mes poêles et mes fouets, bien déterminé à dépasser le rouquin.




Terminons sur une bonne note : il y a une scène lors de laquelle j'ai remarqué une bien belle idée visuelle (photogrammes ci-dessus). Je vous resitue le contexte : la nuit est tombée et Ken Miles travaille encore, seul, dans l'immense garage géré par Shelby qui est situé en bordure des pistes d'atterrissage utilisées pour tester les caisses. Jugé indésirable par les exécutifs de Ford, il en est réduit à suivre à la radio une course dont il a injustement été écarté. Tandis qu'il écoute passionnément les commentaires, les phares d'un avion viennent illuminer l'intérieur du garage et le visage frustré de Miles, les ombres des voitures se répercutent alors sur les murs derrière lui et c'est comme si, en arrière-plan, se déroulait la course qu'il s'imagine amèrement. C'est très simple et c'est assez beau, l'expressivité du regard de Bale et sa posture participant pleinement au charme de cet instant. Dommage qu'il n'y ait pas plus de moments comme celui-ci. En tant que tel, Le Mans 66 demeure un divertissement old school d'assez bonne facture, dont on peut tout de même regretter qu'il ne soit que ça. 


Le Mans 66 de James Mangold avec Christian Bale et Matt Damon (2019)

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