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10 novembre 2018

Halloween (2018)

Les fans de John Carpenter sont comblés en cette fin d'année 2018 : le "Maître de l'Horreur" est à l'honneur. La ressortie de quelques-uns de ses meilleurs films dans des versions restaurées (Fog, They Live, Escape from New York et bien sûr Halloween) et sa petite tournée où il réinterprète ses thèmes les plus connus sont accompagnées de multiples hommages, adressés par ses pairs, qui soulignent l'importance de son œuvre, ou écrits par des convaincus de la première heure, ravis de saisir l'occasion de répéter encore toute leur admiration. Cette nouvelle mise en avant semble indiquer que c'est au tour de l'Amérique de découvrir enfin plus largement quel grand cinéaste il était ; une prise de conscience qui paraît particulièrement tardive et redondante vue de chez nous et qui finirait presque par nous lasser... Plus sollicité qu'à l'accoutumée en raison de cette actualité, John Carpenter himself multiplie les interviews où il cultive nonchalamment son image de vieux bonhomme un peu aigri à l'humour cynique, amateur de basket et de jeux vidéos, qui plaît beaucoup sur la toile. Récemment, nous pouvions même le voir essayer péniblement de rejouer la ritournelle d'Halloween sur une console Nintendo, parfaitement à l'aise dans son rôle de vieillard acerbe, tandis qu'IMDb militait pour l'entrée du terme "carpenteresque" dans le dictionnaire. Au centre de toutes ces festivités, le film de David Gordon Green, qui se présente comme un hommage et une suite directe du classique de 1978, devait être la cerise de ce copieux gâteau. C'était donc avec une grande curiosité mêlée de crainte que nous allions découvrir sur grand écran le résultat, adoubé par un Big John dont on peut sérieusement douter de la sincérité.





Car à la sortie de la séance, force est de constater que ce nouvel Halloween a pour seul mérite de nous éclairer sur ce qui motive toute cette entreprise depuis le départ. Face à l'inanité terrible de ce nouvel opus, on remet les pieds sur terre et on se rappelle que l'argent est bien la seule chose après laquelle court tout ce beau monde, Carpenter compris, comme il le dit souvent sans la moindre gêne en interview ("I’m up for almost anything that involves money"). Devant cette sordide avalanche de connerie absurde que constitue cette dixième déclinaison d'une franchise ranimée par Jason Blum, on est désespérément à la recherche du moindre sens. Pourquoi ce film ? Quel est son intérêt ? Quelle est donc l'idée de base qui lui a donné jour ?! Y'a-t-il au moins l'embryon d'une idée ?!! On ne sait pas, on ne trouve pas, on ne se l'explique pas, tandis que le scénario minable signé David Gordon Green et son acolyte Danny McBride se déroule piteusement et laborieusement sous nos yeux, ponctué par quelques clins d’œils forcés à l'original et des allusions maladroites aux autres épisodes, pour ne fâcher personne.





C'est un petit moment a priori anodin qui joue paradoxalement un rôle de révélateur et fait office de douloureux rappel à la réalité. Dans la première partie du film, un couple de journalistes de pacotille enquêtent sur les meurtres survenus 40 ans plus tôt à Haddonfield, bêtement fasciné par le personnage maléfique de Michael Myers et la survivante traumatisée, Laurie Strode. La première scène pré-générique (sans doute la plus réussie de l'ensemble, la seule où le trouble et le suspense existent encore vaguement) nous montre ces podcasteurs du dimanche se rendre la bouche en cœur à l'hôpital psychiatrique où Michael Myers est interné, histoire de l'exciter un peu en lui agitant son vieux masque sous le nez (enfin non, pas exactement sous le nez, on risquerait de voir son visage, mais plutôt dans son dos, via une mise en scène qui n'a de sens que pour les cadrages qu'elle autorise à DGG). Nous sommes à la veille de son transfert vers une prison haute sécurité, une opération délicate évidemment programmée juste avant Halloween, comme d'habitude, et dans un bus minable, le "Mal à l'état pur" étant trimballé d'un point à un autre simplement menotté, aux côtés d'autres malades quant à eux totalement inoffensifs (mais nous n'allons pas énoncer toutes les inepties du film, ça serait bien trop long et épuisant).





Bref, avant que tout tourne mal et que l'autre couillon ne s'échappe encore, les deux journalistes se rendent chez Laurie Strode, qui vit désormais recluse non loin d'Haddonfield dans une baraque ultra sécurisée et ridicule au plus haut point (là aussi, passons). Ils sont d'abord bloqués au portail par une Laurie Strode qui leur signifie via l'interphone qu'elle n'a aucune intention de répondre à leurs questions pourries. Ce n'est que lorsque la journaliste lui propose la modique somme de 3000$ pour une entrevue qu'elle promet brève que le portail s'ouvre enfin. Voici bien tout ce qui résume ce nouvel Halloween. En échange d'un bon gros chèque, John Carpenter et Jamie Lee Curtis ont rempilé avec le sourire, le premier pour signer une bande-son potable et la seconde pour se ridiculiser en gesticulant pitoyablement dans la peau d'un personnage aberrant. L'appât du gain se mêle au plus vil opportunisme : l'original fêtant ses 40 ans, il s'agissait d'un bon prétexte pour se faire encore du fric et les mirobolants résultats au box office ont donné raison à Blum et sa bande.





Réussir un film d'horreur n'est pas à la portée de tous, cela nécessite un talent de metteur en scène particulier pour parvenir à faire naître la peur, susciter le trouble et stimuler l'imagination du spectateur. Ce n'est certainement pas dans les cordes de David Gordon Green, qui s'essayait pour la première fois à la tâche et qui s'avère totalement incapable de générer le moindre frisson ou de capturer une seule image marquante. Quand on manque de talent, on tombe dans la facilité et, très rapidement, le cinéaste montre plus de sang et de visages explosés qu'en 89 minutes chez Big John. C'est quand il prend le large et se permet quelques écarts que DGG semble plus à l'aise, dans son élément. Deux digressions comiques inutiles figurent ainsi parmi les seuls moments sympathiques du film : c'est d'abord un petit garçon au sens de la répartie bien affûté et très attaché à sa jolie baby-sitter blonde qui nous offre quelques répliques amusantes, puis c'est un échange débile entre deux flics au sujet de leurs casse-dalle respectifs qui nous éloigne un temps du parcours macabre si ennuyeux de Michael Myers.





Rien de très reluisant mais, l'espace de quelques secondes, on s'attache davantage à ces petits personnages de passage qu'à la famille Strode toute entière dont David Gordon Green convoque trois générations de femmes, histoire de surfer sur le mouvement #MeToo, toutes traumatisées chacune à leur façon par le drame initial. Laurie Strode est devenue une hystérique imprévisible qui ne vit que dans l'attente d'en découdre une bonne fois pour toute avec son ennemi juré. Elle a une jolie collection de flingues dans sons sous-sol et entretient des relations houleuses avec sa fille, qu'elle a élevée dans la peur et la paranoïa. Quant à sa petite-fille, car il en fallait bien une de cet âge-là pour que le public cible puisse s'identifier, elle vit mal l'absence et la folie de sa grand-mère. Quel beau programme... Face à elles, Michael Myers ne ressort guère grandi de cette nouvelle aventure, mais la palme du pire personnage du lot revient sans contestation possible au nouveau toubib de Myers, le docteur Ranbir Sartain, incarné par Haluk Bilginer, à qui nous devons les plus beaux dialogues. "So you're the new Loomis" dit Laurie Strode en le rencontrant pour la première fois, alors que les motivations du psychiatre sont à l'exacte opposé de celui jadis campé avec une malicieuse ironie par le regretté Donald Pleasance. "I'm a doctor, lock your doors !" s'écrit Dr Sartain en pleine rue alors que les habitants d'Haddonfield commencent à s'inquiéter des agissements du taré qui rôde. Ce sont ces répliques sorties de nulle part qui nous font sursauter et frémir.





Le film prétend peut-être traiter de la trace laissée par un si grand traumatisme chez les victimes, de la nécessité pour les femmes de s'affranchir des figures masculines oppressantes, de l'attirance et de la répulsion que le Mal exerce sur tout un chacun ou que sais-je... Mais tout cela est si bête et lourdingue qu'on ne peut guère creuser davantage ces voies interprétatives, et cela ne va jamais au-delà de ces sottes intentions. Du haut de ses deux pauvres idées de mise en scène, David Gordon Green accomplit même l'exploit surhumain d'anoblir la démarche, plus risquée et inventive, adoptée par Rob Zombie dans son reboot/prequel miteux sorti en 2007. Il passe aussi pour un sacré cancre en comparaison à la première suite signée Rick Rosenthal, qui commençait pile là où s'arrêtait le premier et n'avait franchement rien de honteux. John Carpenter avait signé un chef-d’œuvre au pouvoir de fascination encore opérant aujourd'hui et dont l'excellence reposait en grande partie sur une mise en scène particulièrement maîtrisée et intelligente qui savait entretenir le mystère et enrichir l'imaginaire. Les étoiles étaient alors parfaitement alignées, pour le succès que l'on sait... Avec un cinéaste qui avait déjà réussi deux trois choses à la barre, une équipe étonnante au scénario (Danny McBride devrait finalement se contenter de jouer les gros beaufs, c'est ce qu'il fait de mieux), un producteur puissant aux commandes et l'aval de Carpenter, on pouvait espérer un résultat au moins un brin intéressant cette fois-ci. Il n'en est rien. Le film a parait-il été retoqué suite à des projections-test, ce qui a l'air plus que probable vu l'allure brinquebalante du produit fini, et nous ne sommes même pas curieux de savoir ce à quoi il aurait pu ressembler sans ces modifications pour se conformer à l'attente du public, tant le projet paraît pourri à sa base. Halloween, c'est quarante ans d'argent facile, and counting, puisque l'on peut désormais s'attendre à de nouvelles suites encore plus mauvaises.


Halloween de David Gordon Green avec Jamie Lee Curtis, Will Patton, Haluk Bilginer et Judy Greer (2018)

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