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6 novembre 2018

Frankenstein Junior

Frankenstein Junior est sans doute le film le plus réussi de Mel Brooks. Le cinéaste farceur accomplit l'exploit de signer une œuvre indémodable qui est à la fois une parodie très inspirée des Frankenstein de James Whale, un film comique à part entière aux personnages succulents que l'on peut apprécier sans connaître ceux dont il s'inspire, et, cerise sur le gâteau, un vibrant hommage, sincère et respectueux, au cinéma d'horreur des années 30 voire au-delà. C'est avec son acolyte Gene Wilder, acteur comique génial malheureusement disparu en 2016 et vedette de ses meilleurs films (Le Shérif est en prison et Les Producteurs), que Mel Brooks a écrit le scénario. Celui-ci est assez simple. Frederick Frankenstine, arrière petit-fils du célèbre docteur Frankenstein, retourne au château de son arrière grand-père. D'abord réticent à l'idée de retourner sur les pas de son ancêtre à la réputation si sulfureuse, il finit par embrasser pleinement sa destinée en reprenant ses travaux, avec l'aide de son serviteur bossu, Igor (Marty Feldman), et d'une jolie laborantine, Inga (Teri Garr), sous le regard méfiant de la tenante des lieux, Frau Blücher (Cloris Leachman).





Frankenstein Junior, c'est d'abord un casting en état de grâce, un ensemble d'acteurs complémentaires et en parfaite harmonie, dans la peau de personnages immédiatement agréables. Gene Wilder apparaît au sommet de son art et ce, dès la première scène où nous le voyons donner un cours magistral devant un parterre d'étudiants médusés en enchaînant les conneries. Le comédien à l'allure impossible, au regard si malicieux et pétillant, mène ensuite sa troupe en déployant un talent comique bien maîtrisé, sans néanmoins éclipser ses partenaires. Chacun a en effet sa place et notamment l’irrésistible Marty Feldman, fascinant en serviteur à la bosse mouvante et à la dévotion totale et immédiate pour son maître. L'acteur britannique aux yeux globuleux est tout simplement immense, dès sa première apparition à l'écran. On ne se lasse pas de le regarder évoluer, attentif à chacune de ses expressions inimitables et hypnotisé par son regard si unique. Génie comique capable d'improvisations hilarantes, Marty Feldman fait d'Igor (prononcer "Aïe-Gor" !) un personnage terriblement attachant. Il place le spectateur à l'affût de chacune de ses facéties : il est la grande attraction d'un film adorable à tous les points de vue. 





Soit dit en passant, on peut regretter devant une si réjouissante et évidente alchimie que le binôme Gene Wilder - Marty Feldman n'ait pas été plus souvent réuni à l'écran. Il sera de nouveau reconstitué dans The Adventure of Sherlock Holmes' Smarter Brother, réalisé par Gene Wilder himself en 1975, avec hélas un peu moins de bonheur mais tout de même quelques éclats de drôlerie mémorables. Aux côtés du duo vedette, on retrouve chez Mel Brooks la charmante Teri Garr, parfaite dans le rôle d'une laborantine aussi inutile que concupiscente. La créature est quant à elle incarnée par Peter Boyle, cet acteur caméléon toujours impeccable, à la tronche familière aux amateurs du cinéma américain des années 70 puisqu'on le recroise dans quelques titres marquants du Nouvel Hollywood comme Taxi Driver, Hardcore et Les Copains d'Eddie Coyle. Il est ici parfait en monstre inoffensif, craintif, au regard idiot et perdu. On adore aussi l'apparition inoubliable d'un Gene Hackman méconnaissable dans le rôle du malheureux aveugle qui propose son hospitalité à la créature (celle-ci sera ensuite victime de la maladresse terrible de son hôte !). 





Cette courte et si amusante parenthèse chez le vieil ermite aveugle est d'ailleurs à l'image du film entier : une des scènes les plus sublimes du grand classique de James Whale, La Fiancée de Frankenstein, devient un moment d'anthologie chez Mel Brooks dans cette version revue et corrigée avec soin. Frankenstein Junior est une œuvre chouchoutée et sans équivalent dont la musique et la photographie semblent, comme tout le reste, animées par le même amour sincère pour le genre. On aime, enfin, la morale lubrique et libertine du cinéaste que révèle la conclusion. Chaque personnage a trouvé chaussure à son pied et s'apprête à aller au septième ciel, et c'est bien tout ce qui a l'air de vraiment compter. 


Frankenstein Junior de Mel Brooks avec Gene Wilder, Marty Feldman, Teri Garr, Peter Boyle et Madeline Kahn (1974)

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