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26 août 2018

Place publique

Jaoui et Bacri ont-ils touché le fond ? Peuvent-ils vraiment tomber plus bas ? On en doute, à la vue du cinquième film d'un duo dont la filmographie n'est qu'une triste dégringolade. Place publique nous amène même à revoir à la hausse Le Sens de la fête, dont il apparaît comme une sorte de jumeau dégénéré, hideux et ennuyeux. Ici, ce n'est pas un mariage mais une pendaison de crémaillère qui offre le prétexte à une réunion festive de personnages pour la plupart détestables et fatigants, qui ont chacun leurs petits problèmes et leurs caractères merdeux. Bacri et Jaoui se croient sans doute fins observateurs, ils ne font pourtant que se répéter depuis des lustres et leur dernier bébé, le plus laid qu'ils n'aient jamais conçu, est le rejeton malingre d'un duo condamné. Car en plus de ne strictement rien dire de neuf, de ne jamais faire rire et d'exaspérer du début à la fin, Place publique est étonnamment agressif pour les yeux. C'est une horreur. Agnès Jaoui ne sait pas où placer sa caméra, n'a pas l'air de contrôler les allées et venues des nombreux figurants et propose régulièrement des plans d'une laideur considérable. Quand les dialogues et ce qui se joue entre les personnages n'a aucune sorte d'intérêt, on est peut-être davantage sensible à l'image, et là ça ne pardonne pas.




Dans la peau de Castro, un animateur télé sur le déclin particulièrement puant et n'assumant pas son âge, Jean-Pierre Bacri nous ressort sa petite formule habituelle, avec visiblement moins d'entrain que dans le dernier succès de Toledano et Nakache dont il constituait le meilleur argument. Sa mauvaise humeur, ses coups de sang et ses répliques pleines de mépris ne sont pratiquement jamais amusantes, mais réussissent à rendre d'entrée de jeu son personnage haïssable. Ses ridicules moments de gloire, où nous le voyons chanter, ou plutôt singer, Yves Montand puis Alain Bashung, nous font seulement de la peine. Agnès Jaoui, qui n'est toujours pas remise de son opération des dents de sagesse, incarne son ex-femme, et ce n'est pas chez elle que nous trouverons plus de matière à rire. Mais c'est à Léa Drucker que revient la palme du personnage le plus insignifiant. Dans le rôle de Nathalie, la productrice de Castro (et également sœur de Jaoui), elle campe une zonarde XXL toujours pendue à son kit mains libres, cachées derrière d'énormes lunettes de soleil, à laquelle on a juste envie de coller des baffes.




Le premier quart d'heure du film consiste d'ailleurs à voir des connards pendus au téléphone. C'est passionnant et ça a au moins le mérite d'annoncer honnêtement la couleur. Témoins affûtes autoproclamés de leur époque et de leur petit monde, "Jabac" veulent pointer du doigt les travers actuels en filmant tous ces tocards plus préoccupés par ce qui se passe sur leurs smartphones qu'à ce(ux) qui les entoure(nt). En pleine conversation avec Castro, Drucker s'exclame ainsi, les yeux sur son portable, "Dis donc, 30 espèces d'animaux viennent de disparaître ! La vache !", ce à quoi Bacri répond "Quoi, même la vache ?!". C'est un des rares dialogues que j'ai retenus, c'est vous dire le niveau... A un moment donné, désespérément à court d'idée, Jaoui filme même une chute, espérant sans doute avoir recours à un ressort comique qui, depuis la nuit des temps, a fait ses preuves. Nous voyons donc Olivier Broche tomber dans les buissons... Ce n'est que désespérant. Dans le rôle de l'assistant de Drucker, Broche est pourtant le seul à s'en tirer avec les honneurs. Il parvient presque une fois à être un peu drôle, avec son sourire benêt et ses dents en avant. Notons toutefois que l'inventivité de Jabac n'est pas complètement éteinte puisqu'on entend tout de même Bacri répéter plusieurs fois à Héléna Noguerra, qui campe sa femme, une ex-miss météo désireuse de devenir actrice, "T'es bonne actrice ! T'es bonne actrice !", pour la soutenir dans son projet. Héléna Noguerra. Bonne actrice. Héléna Noguerra.




Incapable d'écrire le moindre dialogue sympathique et d'imaginer des personnages amusants, Jabac s'en remettent aux gags purs et simples. On se coltine donc le gars à poigne qui écrase toutes les mains qu'il serre au cours de la soirée, l'étranger à l'accent incompréhensible qui s'exprime dans un charabia à décrypter, et autres détails prétendus comiques de ce genre qui ne parviennent jamais à nous dérider un brin. Le fiasco est complet mais c'est peut-être bien dans cette veine simpliste et grotesque que Jaoui et Bacri s'en tirent le mieux, c'est dire... Le duo a une nouvelle fois essayé de saisir des caractères de leur temps, et de mettre en scène les terribles fractures qui nous séparent : entre les générations (Jabac et leur fille), entre les parisiens et les provinciaux, entre les bourgeois et les petites gens, entre les stars orgueilleuses du showbiz et leurs gentils larbins, etc. Le trait est si grossier qu'on ne se prend jamais au jeu, tout est couru d'avance, pathétique et ringard. C'est à pleurer. L'ultime réplique est terriblement cruelle. Elle est prononcée par Olivier Broche, décidément dans tous les bons coups. Celui-ci commente le sauvetage in extremis de l'émission télé de Castro par un "Il a encore des choses à dire Castro !" qui contraste méchamment avec les si tristes 90 minutes auxquelles nous venons d'assister. Car s'il y en a bien deux qui n'ont plus rien à dire, en revanche, c'est Jaoui et Bacri.


Place publique d'Agnès Jaoui avec Jean-Pierre Bacri, Agnès Jaoui, Héléna Noguerra, Kevin Azaïs, Olivier Broche et Léa Drucker (2018)

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