Pages

17 juillet 2018

Hostiles

Un rythme lent, une ambiance solennelle, de fort beaux paysages, un casting a priori sympathique et un message pacifique... il n'en fallait visiblement pas plus au western de Scott Cooper pour se faire remarquer à sa sortie. Au début, il y a effectivement de quoi y croire. Le cinéaste et acteur, qui en est à son quatrième long métrage, a voulu bien faire. Son film n'est vraiment pas désagréable à l’œil, le format panoramique est bien exploité, les lumières sont chatoyantes. Scott Cooper prend son temps pour installer ses personnages, notamment celui incarné par Christian Bale, un capitaine de l'armée américaine qui se voit contraint d'honorer une dernière mission : escorter un vieux chef de guerre cheyenne du Nouveau-Mexique au Montana, pour lui permettre de mourir sur ses terres tribales. Le cinéaste ne veut se fâcher avec personne. Il y a des gentils et des méchants des deux côtés, des méchants qui sont finalement plutôt gentils et des gentils qui sont en réalité assez méchants. Il y a des connards de tout bord et, en filigrane, un petit message qui se veut réconciliateur. Scott Cooper a vraisemblablement retenu la leçon de la fin dégueulasse de son très pénible premier film, Les Brasiers de la colère, où l'on voyait Christian Bale (déjà) assouvir enfin sa soif de vengeance en tirant une balle dans la nuque de Woody Harrelson, poussant ensuite un hideux soupir de soulagement. Cooper est un élève appliqué et sa dernière copie a obtenu une bonne note sur IMDb.





Chris Bale est un capitaine chevronné, torturé par ses démons. Il a commis des atrocités durant la guerre. Il a un tableau de chasse impressionnant. Le gars a bien croqué dans le génocide indien mais doit désormais protéger son pire ennemi, un vieux rival qui, en fin de compte, lui ressemble sur bien des points. Bale lute tellement contre lui-même qu'il passe tout le film à tirer une tronche de dix pieds de longs, c'est Batman sans la capuche, en encore moins loquace, le smiley inversé figé derrière sa grosse moustache, les pieds puissamment enfoncés dans le sol, comme condamné toute sa vie à transporter le lourd fardeau des horreurs commises. Quand on lui annonce qu'il n'a pas d'autre choix que de remplir cette ultime mission avant la quille, il s'en va hurler sa détresse dans un champ, au loin, car il faut quand même bien que ça sorte, de temps en temps. Puis il revient faire le taff, la tête haute, car il est d'abord un bon capitaine, un gars fiable qui a des principes. Chris Bale est abonné à ces rôles de bombe humaine, susceptible d'exploser à tout moment, et c'est ici ce que l'on redoute durant toute la promenade. L'acteur choisit de jouer cette partition comme s'il avait la taupe coincée au guichet... Une méthode d'acting bien connue, qui a déjà fait ses preuves et valu quelques Oscars. Il suffit d'éviter les fibres durant le tournage. On gagne en reconnaissance ce que l'on perd en espérance de vie. Mais Bale, habitué à faire du yoyo avec son poids et à suivre des régimes drastiques, n'est plus à ça près. Il l'aura un jour, son Oscar du Best Actor in a Leading Role !





Le bonhomme s'adoucit un brin quand il récupère Rosamund Pike, une blonde plutôt pas mal mais traumatisée par la perte de toute sa famille dans un raid comanche. Car si les cheyennes sont sympas et dociles, les comanches sont de sacrées raclures, des bêtes sauvages capable de scalper à tour de bras et de brûler vif pour récupérer quelques chevaux qu'ils auraient peut-être pu obtenir par la négociation. Bref. La nuance est tout de même là : chez les indiens, il y en a des bons et des mauvais, comme chez les blancs, et même les bons peuvent avoir commis de mauvaises actions. Tout pareil que Christian Bale ! C'est un "type bien", au fond, et c'est ce que Rosamund Pike lui déclare une dernière fois, les larmes aux yeux, sur le quai de la gare, lors d'une conclusion qui schlingue l'eau de rose mais que l'on accueille quand même à bras ouvert tant elle promet, enfin, un coin de ciel bleu à ces pauvres personnages qui ont traversé tant d'épreuves. C'est que ce long film doit aussi pouvoir plaire à tous. Aux amateurs de westerns âpres, aux spectateurs friands d'action (notons quelques fusillades pour nous réveiller de temps en temps) mais aussi à leurs accompagnatrices aux cœurs plus sensibles. C'est en essayant de plaire à tous qu'on finit avec une mixture de ce genre : digeste mais vite évacuée. Tiens, ça ferait du bien à Bale !





Notre petite troupe traverse les paysages, elle est joliment filmée, au coucher du soleil, devant les nuages et les couleurs du crépuscule. Ça donne de chouettes cartes postales. La petite bande doit affronter les trappeurs hostiles et les impitoyables comanches, mais nous ressentons peu le danger. Nous ne vibrons à aucun moment. On attend que ça décolle. En vain. On restera toujours à ras du sol, goûtant simplement la diversité des territoires parcourus. Les feux de camp se suivent et se ressemblent. Nous n'avons aucune idée du temps qui passe, de la longueur du trajet, de la rudesse des épreuves traversées. Le film est à l'image du personnage principal campé par Bale, paralysé par toute cette rage intériorisée. Les cadavres s'accumulent sur la route mais on s'en fiche pas mal. C'est seulement quand ils sont aux portes de la mort que Scott Cooper s'intéresse de plus près à ses personnages. Un peu trop tard pour que l'on s'y attache, malgré tous les efforts des acteurs. C'est à Rosamund Pike que l'on doit les rares moments où percent un peu d'émotion. Et encore, je suis gentil, on pourrait également accuser l'actrice d'en faire trop, de grimacer à outrance.





En fin de compte, Bale finira par piger que le vieil indien qu'il escorte n'est qu'un alter ego aux motivations légitimes, que le sergent haineux ramassé en cours de route n'est que la personnification de cette dark side qu'il tente de refouler, et que Rosamund Pike est son seul salut possible. Vous l'aurez compris, le trait se veut complexe, il est en réalité assez grossier, très lourdement énoncé. Scott Cooper s'améliore, c'est évident, il est sur la bonne voie. Peut-être que son 36ème film sera le bon, mais il faut alors lui souhaiter une longévité digne d'un Woody Allen. On espère de tout cœur qu'il arrivera jusque là. Hostiles est nettement supérieur aux Brasiers de la colère, mais ça n'est pas le grand western que l'on m'a promis et que j'espérais naïvement.


Hostiles de Scott Cooper avec Christian Bale, Rosamund Pike, Wes Studi et Rory Cochrane (2018)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire