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24 juillet 2015

Hardcore

Sorti en 1979, Hardcore est le second long-métrage que réalisa Paul Schrader, alors auréolé du succès de ses scénarios portés à l'écran par Martin Scorsese (Taxi Driver), Sydney Pollack (Yakuza) et Brian de Palma (Obsession), et déjà auteur de très bons débuts derrière la caméra avec Blue Collar. Hardcore n'est pas un chef d’œuvre sous-estimé, comme le cinéma américain des années 70 en recèle en nombre, que je vous inciterai à redécouvrir absolument. Non, c'est simplement un bon film, tout à fait digne d'intérêt, qui se regarde sans déplaisir. Et surtout, surtout, Hardcore est le film d'un acteur, George C. Scott, au zénith de son talent. Pour les admirateurs de la star, c'est un immanquable et, si vous nous suivez assidument, vous aurez compris que j'en suis un ! Je suis un fan hardcore de cet acteur au charisme si imposant, bien connu du grand public pour ses performances inoubliables dans Docteur Folamour ou Patton, qui compte également bien d'autres faits d'armes notables à son compteur. Plus largement, Hardcore est à recommander à tous ceux qui aiment les œuvres portées à bout de bras par d'immenses comédiens au sommet de leur forme.




Hardcore nous propose d'assister à la descente aux enfers d'un homme d'une soixantaine d'années, parti à la recherche de sa fille disparue, dont il retrouve la trace dans les bas-fonds de Los Angeles et, plus exactement, dans le monde du porno... L'acteur vedette incarne bien entendu ce vieux papa fatigué, totalement déconnecté de certaines réalités et perdu dans un monde dont il ne soupçonnait même pas l'existence. Homme d'affaire prospère et très puritain, vivant seul dans une petite bourgade paumée du Michigan, vraisemblablement veuf, cet homme se retrouve en effet plongé dans un univers poisseux qui ébranlera toutes ses croyances et ses convictions. Le regard hagard, les cheveux fous, la mine patibulaire et une chemise hawaïenne sur le dos, George C. Scott arpente les rues de L.A., de nuit comme de jour, mais surtout de nuit, tel un chien errant, totalement déboussolé, et animé d'une rage intérieure grandissante, de plus en plus incontrôlable. Le spectacle offert par l'acteur, parfaitement capté par Schrader, est tout à fait saisissant. Au fond du trou, son personnage choisira même de se faire passer pour un réalisateur de films porno, organisant à la va-vite un casting pour mieux remonter jusqu'à sa fille en interrogeant les différents acteurs qui se présentent à lui.




De ce film, qui vaut donc surtout pour la prestation encore une fois géniale de George C. Scott, je retiendrai surtout deux ou trois scènes, en plus de celle du casting évoquée précédemment. Il y a d'abord celle que je considère comme la scène-clé du film, où George C. Scott découvre ce qu'il est advenu de sa fille. Sans le prévenir ni lui donner plus d'indice, le détective miteux qu'il a engagé (un personnage par ailleurs assez délicieux incarné par le génial Peter Boyle) l'installe dans une petite salle de cinéma lugubre et lui projette le film porno dans lequel, entourée de deux gaillards bien charpentés, apparaît sa fille disparue. Dans cette scène très difficile, d'autant plus qu'elle s'étale étrangement en longueur, peut-être pour mieux nous faire ressentir toute la détresse de son personnage, George C. Scott s'en tire véritablement à merveille. A deux doigts d'en faire trop, sur la corde raide, il est tout simplement parfait. Cette scène devrait être montrée comme exemple dans toutes les bonnes écoles de formation d'acteurs !




Plus tard dans le film, George C. Scott forme un duo assez étonnant avec une jeune prostituée, actrice porno à ses heures perdues, campée par Season Hubley. Paumée elle aussi, elle tentera néanmoins de guider un peu notre homme dans ses investigations. Les interactions entre ces deux personnages que tout oppose donnera lieu à quelques dialogues assez savoureux. Parmi ceux-ci, je me souviens tout particulièrement de celui où les deux personnages échangent sur leur rapport à l'acte sexuel, en dévoilant tour à tour leurs positions là encore diamétralement opposées mais qui finiront par se rejoindre puisque la jeune femme conclura la conversation en disant, grosso modo, "Toi tu t'en fous parce que tu ne le pratiques pas, moi je m'en fous parce que je me fous de la personne avec qui je le fais". Autre scène, autre facette, plus discrète, du talent de ma regrettée idole : quand George C. Scott, démoli par la disparition de sa fille, lance un terrible regard noir à l'un de ses amis lui conseillant simplement de se relaxer, de respirer un bon coup et de laisser pisser. Une de perdue, dix de retrouvées, lui fait-il quasiment comprendre. George C. Scott se tourne alors vers lui en disant seulement "Could you ? Could you ?!", le tout accompagné d'un regard revolver à vous glacer le sang...




Hardcore est donc un film très plaisant pour tous les georgecéscottophiles dont je fais partie. Quand on voit la performance de la star, à aucun moment on peut se dire que les relations entre lui et son metteur en scène devaient être mauvaises. Et pourtant, c'était bel et bien le cas ! Durant le tournage, les rapports entre Paul Schrader et George C. Scott étaient si explosifs que la star aurait supplié son réalisateur de ne plus jamais faire de film ! Un accord que Paul Schrader s'engagea à respecter pour mieux apaiser l'ambiance sur le plateau mais qu'il contredit très vite en tournant un an plus tard American Gigolo. George C. Scott était à coup sûr un grand professionnel avant d'être un surdoué de l'acting... Un homme de devoir, un vrai pro au caractère impossible !


Hardcore de Paul Schrader avec George C. Scott, Season Hubley et Peter Boyle (1979)

9 commentaires:

  1. Ce cher George Christ Scott a un vague air de Patrick Sébastien sur la deuxième image !

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  2. Tu peux passer une soirée au Mulligan's avec Nic Cage ou avec George C. Scott. Tu choisis qui ?

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  3. Putain, impossible de choisir !
    Pour ce genre de soirée, ça serait ptet plus Nick Cage.
    Pour un truc plus peinard, George.

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  4. « un vrai pro au caractère impossible »
    —> ou bien, aussi incongrue que puisse paraître une telle demander, un homme de pur bon sens lorsqu'il demandait à Schrader de ne plus jamais faire de film !

    (Je sais, c'est facilement perfide...)

    Un des premiers rôles dans lesquels George C. Scott était extraordinaire, c'était celui de « l'avocat de la ville » qui vient seconder un collègue de province dans 'Autopsie d'un meurtre'. Scott arrive tardivement dans le film, et c'est un véritable as de pique qu'Otto Preminger sort alors de sa manche : l'acteur compose un avocat machiavélique qui efface durablement tous les autres que j'ai pu croiser au cinéma (même James Mason dans 'The Verdict', c'est dire). Le grand plaisir d''Autopsie d'un meurtre' tient d'ailleurs en partie au fait de voir James Stewart (qui y incarne l'inoubliable Paul Biegler) littéralement confronté à ce représentant d'une nouvelle génération/école d'acteurs (idem face à Lee Remick et à Ben Gazzara, dans le même film).

    Je ne suis pas un inconditionnel de Preminger, et d'ordinaire j'essaie de ne pas abuser de formules « définitives », mais 'Autopsie d'un meurtre' est vraiment, à mes yeux, « un film pour l'éternité » (dans ce genre très balisé, de surcroît, qu'est le « huis clos juridique »). Pour ma très relative éternité, en tout cas ! (Je donne dix 'Douze hommes en colère' pour un 'Autopsie d'un meurtre', ce qui fait tout de même cent vingt hommes en colère...)

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  5. « George C. Scott se tourne alors vers lui en disant seulement "Could you ? Could you ?!", le tout accompagné d'un regard revolver à vous glacer le sang... »

    —> la comparaison va sans doute sembler inopportune, mais cela me rappelle un moment comparable, et assez marquant, entre Tommy Lee Jones et Will Smith dans le premier 'Men in Black' !

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  6. Ce que tu dis là me donne bien envie de revoir Autopsie d'un meurtre. J'ai aimé le film et je garde un excellent souvenir de Stewart et des plus jeunes autour de lui, dont Scott, mais le film ne m'a pas foutu sur le cul non plus. Et en matière de huis clos au tribunal, je le trouve pas spécialement remarquable (je lui préfère largement 10 hommes en colère, mais il me faudrait le revoir !).

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  7. Oh que oui, donne-lui une nouvelle chance, à l'occasion ! C'est un film qui, par son rythme même, est à l'opposé de la dramatisation un peu pré-digérée de 'Douze hommes en colère' (film par ailleurs plus qu'honorable, évidemment).


    Il y a un moment dans 'Autopsie d'un meurtre' qui est comme un concentré de cette souveraineté rythmique. Vers la fin du film, « l'équipe » (extrêmement modeste) de Paul Biegler attend chez ce dernier l'annonce du verdict, et pour faire passer le temps Biegler (qu'on a vu vers le début du film partager le clavier avec rien moins que Duke Ellington, en toute simplicité !) joue au piano un blues assez mélancolique. Son comparse (formidable Arthur O'Connell, un des acteurs de seconds rôles marquants des années 1950) lui demande d'un air réprobateur s'il ne pourrait pas jouer quelque chose d'un peu plus enlevé, ce sur quoi Biegler, indévissable cigare au bec, se met sans crier gare à jouer un boogie-woogie endiablé. Cela, qui ne dure que quelques secondes, n'est pas du tout traité comme « un grand moment », mais à chaque fois ce changement rythmique au sein même du film provoque chez moi une émotion qu'il me serait difficile de définir, mais qui me ferait presque pleurer.


    'Autopsie d'un meurtre', c'est typiquement le film qui ne cesse de faire l'aller et retour entre morale et émotion, et cette balise émotionnelle et morale peut vous accompagner toute une vie durant...

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  8. Ah ben là j'ai définitivement envie de le revoir.

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  9. Voilà qui me fait rudement plaisir !

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