Pages

27 juillet 2016

La Dernière femme sur Terre

Un homme d’affaires, Harold, sa femme, Evelyn, et leur jeune avocat, Martin, sont en croisière à Puerco Rito. Pas d'Orson Welles à l'horizon pour tourner en bourrique au milieu de ses hôtes, comme sur le yacht des Bannister dans La Dame de Shangaï. On est ici dans une série Z signée Roger Corman et à peine inspirée de The World, The Flesh and The Devil, sorti un an plus tôt. En pleine séance de plongée sous-marine, la petite dame de la troupe est à deux doigts de harponner l’avocat pour le défendre d’une raie tandis qu'il matait la sienne. Ce sera le pseudo-péché originel de cette Eve moderne, aussi maladroite et coupable que l’originale (les gonzesses...). Lorsqu’ils remontent à la surface, nos trois nageurs sont pris de légers malaises et découvrent le corps sans vie du pilote de leur yacht, mort asphyxié. Ils décident de garder leur masque à oxygène sur le nez et de rejoindre la côte en barque. C'est là qu'ils se rendent compte que toute autre vie vient d’être balayée de la surface du globe par une sorte d’extinction d’oxygène temporaire.




Seuls survivants sur place, et peut-être dans le monde (il devait bien se trouver quelques autres plongeurs par ci par là, une poignée de sous-mariniers en activité, un type en train de retenir sa respiration le temps d'ouvrir un paquet de Sheba pour son connard de chat obèse et ingrat), nos trois miraculés se réfugient dans une villa de luxe. Pas fous. La femme et l’avocat ne seraient pas contre terminer leurs jours à la fraîche, à ne strictement rien foutre, mais le mari ne l’entend pas de cette oreille. Harold n’a pas fini de siroter son premier mojito les arpions dans l’eau qu’il prévoit déjà de foutre le camp pour échapper à la vermine bientôt sur le pied de guerre, sans oublier d’apprendre à pêcher pour subvenir à ses besoins, et de monter une expédition dans le nord du Canada, glacière naturelle XXL où les vivres se conservent plus longtemps.




Si notre homme n’est pas très marrant, il a le mérite d’être prévoyant. Mais il a un autre défaut : il n’est guère partageur. Or ce petit défaut en devient un gros quand notre petit ménage à trois réalise, tout à coup, que la belle Eve(lyn) est, jusqu’à nouvel ordre, la dernière femme sur terre. Et ses deux compagnons auraient pu tomber plus mal, car il semblerait que Betsy Jones-Moreland leur donne plutôt envie de repeupler la terre sans paumer trop de temps. La question de relancer la vie humaine angoisse d’ailleurs beaucoup plus les deux zonards à ses côtés qu’Evelyn elle-même, que son statut d’ultime spécimen humain femelle ne tracasse pas des masses, et qui voudrait juste se la couler douce avec le plus sympa des deux (qui n’est pas son mari). S’ensuit donc un combat de coqs entre nos deux rivaux, Harold et Maud, combat psychologique d’abord, puis physique, pour savoir qui devra chausser un froc de moine dans un monde sans dieu et qui pourra se reconvertir illico dans le porno sans caméras avant d'aller en serrer cinq au diable. La pauvre Eve se retrouve donc mise en ballotage entre un mari goujat et un amant peu porté sur l’idée de paternité.




Martin annonce à Eve, un peu avant la fin du film, qu’il ne compte pas enfanter avec elle. Un peu comme Russel Crowe dans le Noé d’Aronofsky, il considère que les hommes ont eu leur chance et qu’il vaut mieux déposer le bilan une bonne fois pour toutes. Après s’être respectivement bien rétamé la tronche à coups de lattes, les deux types retrouvent Eve dans une église et Martin, qui refusait de perpétuer l’espèce, meurt de ses blessures (invisibles… trop cher) après avoir lâché un crispant « Nous ne comprendrons donc jamais ! » Eve et son mari Harold ressortent de l’église main dans la main, prêts à se reproduire à fond, et le spectateur est en droit de regretter qu’au lieu de ce semblant de morale douteuse Corman n’ait pas préféré tuer ces deux idiots de mâles dominants pour donner enfin tout son poids au titre du film et conclure sur l'image d'une Eve définitivement seule sur terre, prête à lâcher des caisses à table et à chier la porte ouverte, révisant la célèbre réplique de Jeff "la mouche" Goldblum : « Dieu crée les dinosaures, Dieu détruit les dinosaures, Dieu crée l’homme, deux débiles se flinguent pour ma face et j'hérite de la Terre ». Après avoir tenté d’en flinguer un à coup de harpon, la dernière femme se serait enfin débarrassée de ses boulets en attisant leur concurrence de pacotille pour régner en maîtresse absolue sur la planète bleue. Ça c’était une fin.


La Dernière femme sur Terre de Roger Corman avec Betsy Jones-Moreland, Antony Carbone et Robert Towne (1960)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire