Serge Daney disait de Jean Grémillon qu'il était le grand perdant d'un âge du cinéma français où tous les autres, les Carné et compagnie, avaient "insolemment gagné". J'ai vu ce film et voulu en parler il y a déjà quelques temps, mais il faut croire que Grémillon est condamné à passer après, à demeurer dans les limbes, y compris sur ce blog. La juste entreprise de réhabilitation et d'hommage lancée ce mois-ci par les Cahiers du Cinéma pousse à réagir. Réagissons donc en vous invitant à découvrir Daïnah la métisse, premier moyen-métrage (il ne dure que 45 minutes) parlant de Jean Grémillon, sorti en 1931. Le film raconte l'histoire d'une métisse mariée à un homme noir qui s'exprime comme elle dans un français de haute volée et travaille sur un paquebot comme amuseur, saltimbanque, prestidigitateur ou sorcier, afin de distraire les longues soirées de ces messieurs dames de la haute bourgeoisie française tout au long d'une interminable traversée.
Le temps de la croisière en direction de Nouméa, Daïnah use de ses charmes incontestables pour séduire tous les hommes et s'en distraire à son tour. Jusqu'au jour où elle mord un machinot frustré par ses avances non assouvies. Conduite à traverser l'inquiétante salle des machines du vaisseau, Daïnah recroise et attise les foudres de celui qui prévoit déjà de se venger. Une nuit, la jeune femme disparaît, et son mari va mener l'enquête.
Le film vaut surtout pour une scène (comme Remorques du même Grémillon, avec Jean Gabin, Michelle Morgan et Madeleine Renaud, sur lequel nous reviendrons peut-être bientôt), la scène absolument magnifique du bal masqué. Le mari de Daïnah fait des tours de magie noire qui permettent à Grémillion quelques expérimentations formelles assez hypnotiques, dignes du cinéma d'avant-garde muet (et pouvant évoquer certaines images de Vertov dans L'Homme à la caméra). Mais surtout il y a cette séquence, dans la continuité de la soirée, et tandis que le spectacle a laissé place au bal, où Daïnah elle-même, sous un masque sublime, en forme de grillage, qui la transforme en une étrange et envoûtante figure de féline, tournoie et danse presque jusqu'à la folie, au point de se débarrasser de tout partenaire et d'envoyer valser les autres convives dans le décor. Dans cette scène fascinante, la jeune femme, presque en transe et tourbillonnant au rythme de la musique, se laisse emporter par son mouvement et atteint une sorte d'orgasme solitaire au milieu de la piste, sous le regard subjugué des mauvais bourgeois aux visages unanimement recouverts de déguisements parfaitement monstrueux (on s'étonnerait guère que Franju ou Lynch s'en soient inspirés), tels des porcs rieurs et jouisseurs rassemblés dans un tableau digne des compositions cubistes de Pablo Picasso. C'est Daïnah qui se donne à voir, c'est sur elle que tous les yeux sont fixés, et pourtant c'est la seule qui ne joue pas, dont le masque ne dissimule rien, elle vit sans s'importuner de rien, chose qui, dans ce bas monde, peut coûter cher, mais qui, à l'écran, emporte, remue, bouleverse.
Daïnah la métisse de Jean Grémillon avec Laurence Clavius, Habib Benglia et Charles Vanel (1931)
Le temps de la croisière en direction de Nouméa, Daïnah use de ses charmes incontestables pour séduire tous les hommes et s'en distraire à son tour. Jusqu'au jour où elle mord un machinot frustré par ses avances non assouvies. Conduite à traverser l'inquiétante salle des machines du vaisseau, Daïnah recroise et attise les foudres de celui qui prévoit déjà de se venger. Une nuit, la jeune femme disparaît, et son mari va mener l'enquête.
Le film vaut surtout pour une scène (comme Remorques du même Grémillon, avec Jean Gabin, Michelle Morgan et Madeleine Renaud, sur lequel nous reviendrons peut-être bientôt), la scène absolument magnifique du bal masqué. Le mari de Daïnah fait des tours de magie noire qui permettent à Grémillion quelques expérimentations formelles assez hypnotiques, dignes du cinéma d'avant-garde muet (et pouvant évoquer certaines images de Vertov dans L'Homme à la caméra). Mais surtout il y a cette séquence, dans la continuité de la soirée, et tandis que le spectacle a laissé place au bal, où Daïnah elle-même, sous un masque sublime, en forme de grillage, qui la transforme en une étrange et envoûtante figure de féline, tournoie et danse presque jusqu'à la folie, au point de se débarrasser de tout partenaire et d'envoyer valser les autres convives dans le décor. Dans cette scène fascinante, la jeune femme, presque en transe et tourbillonnant au rythme de la musique, se laisse emporter par son mouvement et atteint une sorte d'orgasme solitaire au milieu de la piste, sous le regard subjugué des mauvais bourgeois aux visages unanimement recouverts de déguisements parfaitement monstrueux (on s'étonnerait guère que Franju ou Lynch s'en soient inspirés), tels des porcs rieurs et jouisseurs rassemblés dans un tableau digne des compositions cubistes de Pablo Picasso. C'est Daïnah qui se donne à voir, c'est sur elle que tous les yeux sont fixés, et pourtant c'est la seule qui ne joue pas, dont le masque ne dissimule rien, elle vit sans s'importuner de rien, chose qui, dans ce bas monde, peut coûter cher, mais qui, à l'écran, emporte, remue, bouleverse.
Daïnah la métisse de Jean Grémillon avec Laurence Clavius, Habib Benglia et Charles Vanel (1931)
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