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11 septembre 2012

Du Silence et des ombres

J'accueille aujourd'hui Simon, rédacteur désormais plus que régulier du blog, pour une critique à quatre mains d'un film rare à (re)découvrir sans hésiter.

Robert Mulligan, auteur de 20 films tournés pour l'essentiel entre 1957 et 1972, est un cinéaste américain assez méconnu, ayant eu la malchance de travailler dans une période un peu transitoire du cinéma hollywoodien, juste après l'Âge d'or et juste avant le Nouvel Hollywood. La Cinémathèque Française lui a rendu hommage en 2010, ouvrant sa rétrospective avec le présent To Kill a Mockingbird ("Du Silence et des ombres" en France...), adapté du très célèbre roman de l'écrivaine américaine Harper Lee. Le film se déroule au début des années 30 dans une petite ville du sud des États-Unis fortement marquée par la crise économique et par les tensions raciales implantées de longue date dans le socle de la patrie sudiste mais comme toujours (et c'est malheureusement d'actualité) exacerbées par la précarité et le désœuvrement. Robert Mulligan adopte le point de vue de deux gamins dont le père veuf (Gregory Peck) est chargé de défendre un jeune fermier noir accusé du viol d'une blanche par le père de cette dernière (à noter que l'accusateur en question se nomme Robert E. Lee Ewell, et précisons pour rappel que Robert E. Lee n'était autre que le grand général des forces confédérées durant la guerre de sécession…).



La première heure du film focalise sur le quotidien des enfants dans cette ville déserte et caniculaire d'Alabama, longues journées d'été empreintes d'une tristesse due à l'absence de la mère et d'une langueur propre aux errances enfantines. Le petit Jem et sa sœur Scout, accompagnés d'un voisin, troisième larron de passage surnommé Dill, s'occupent comme ils peuvent en attendant le retour du père avocat et se passionnent notamment pour leur mystérieux et invisible voisin Boo Radley (incarné par Robert Duvall dans ce qui fut son premier rôle au cinéma), dont la légende raconte qu'il serait un fou criminel enfermé chez lui par son père. Filmant à hauteur de gamins, Mulligan ne rate rien de ce qu'on pourrait appeler selon l'expression consacrée le "monde de l'enfance". Cette première partie du film est aussi géniale que précieuse en ce qu'elle parvient à capter tout un tas de détails, de sensations et de sentiments enfantins de façon très subtile, sans sentimentalisme aucun. Il est rare qu'un gosse soit supportable dans un film hollywoodien. Ici non seulement il y en a deux, et non seulement ils sont supportables, mais la gamine qui joue Scout (Mary Badham) est carrément bouleversante, notamment quand, au moment de s'endormir, elle harcèle son frère de questions sur leur mère décédée. C'est dans le rapport étonnant à leur père, qu'ils appellent par son prénom, Atticus, et qu'ils maternent au point de le défendre contre une horde de villageois enragés dans une scène redoutable de tension au milieu du film, que les deux enfants se montrent particulièrement originaux vis-à-vis de leurs homologues dans la plupart des films d'ici ou d'ailleurs. Robert Mulligan parvient à dire une vérité rarement révélée sur le rapport ambigu des enfants à leur père, comme dans cette scène, sans doute la plus belle du film, où Atticus (un des personnages de pères les plus admirables qui soient, servi par un Gregory Peck tout en intériorité) est appelé par la bonne pour abattre un chien enragé rôdant près de la maison et où les enfants demandent à un autre homme de tirer à sa place sous prétexte qu'il n'en serait pas capable.



La deuxième heure est moins réussie, avec cette très longue scène de procès où Grégory Peck déclame pendant une demi-heure un beau discours visant à convaincre un jury d'hommes blancs de l'innocence de cet homme noir accusé par deux des leurs. Puis quand vient un épilogue à la morale pour le coup assez douteuse, qui suggère que la justice ne fonctionnant pas, mieux vaut ne pas passer par elle quand on estime être dans son bon droit. Mais pour peu qu'on aime les scènes de plaidoirie comme le cinéma américain en regorge, on peut se laisser tenter, quitte une fois le film terminé à ne se rappeler que de la première heure assez remarquable. Pour achever de tenter de persuader de donner une chance à ce film trop ignoré, voici quelques anecdotes savoureuses et indispensables. D'abord, pour les fans de David Fincher, et Dieu sait qu'ils sont nombreux, sachez que Michael Douglas brandit un exemplaire du livre d'Harper Lee vers la 100ème minute de The Game (nous avons pitié de vous et précisons la minute précise pour vous éviter de subir à nouveau le long métrage). Pour les fans de Die Hard, tout aussi nombreux, espérons-le, et de A armes égales, là ça se réduit considérablement, sachez aussi que Bruce Willis et Demi Moore ont prénommé leur fille Scout en hommage à l'héroïne du film. Pour les fans de Donnie Darko, on ne s'adresse plus à grand monde mais tant pis, il faut savoir que Jake Gyllenhaal, qui faute d'avoir des enfants possède des canidés, a nommé ses deux chiens Atticus et Boo Radley. Enfin, pour les fans de Cameron Crowe, et là on parle directement aux murs, l'adaptation de Robert Mulligan est son film de chevet, cité dans Almost Famous et dans Vanilla Sky. On espère avoir convaincu tout le monde de voir ce film et de lui rendre l'hommage qu'il mérite sincèrement, notamment pour ce qu'il dénonce de l'Amérique des années 30 et qui est plus que jamais de circonstance (ces enfants auxquels on offre leur premier fusil à 12 ans), pour se rappeler à quel point le chômage et l'oisiveté consécutives aux grandes crises sont le ferment des pires rancunes racistes, et pour admirer son portrait d'enfants d'une grande justesse et d'une belle sensibilité.


Du Silence et des ombres (To Kill a Mockingbird) de Robert Mulligan avec Gregory Peck, Mary Badham, Philip Alford, John Megna, Brock Peters et Robert Duvall (1962)

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