Nous accueillons aujourd'hui Simon, cinéphile actif et ami cher, pour nous parler de ce film étrange, auquel nous n'aurions pas accordé une grande curiosité sans son regard plutôt séduit porté sur l’œuvre de Patricia Mazuy. Mais sans plus attendre, place à la critique :
Voilà un film bien étrange. Un film « fou » à plusieurs titres, malaisant, déstabilisant, parfois irritant, mais qui se révèle au final extrêmement singulier, rempli d’inspirations fulgurantes et souvent fascinant. L’histoire n’est pas facile à résumer, mais pour simplifier : passionnée d’équitation, Gracieuse (Marina Hands) entre comme palefrenière dans le haras de dressage qui jouxte la ferme de son père. A la tête du haras, une riche propriétaire (Josiane Balasko) qui tient sous son joug, financier et « affectif », l’ancien champion de dressage allemand devenu entraîneur Franz Mann (Bruno Ganz), qui malgré son âge avancé suscite l’attirance des meilleures cavalières du monde, professionnellement comme sexuellement. Obsédée par l’idée d’avoir son propre cheval et de l’amener « au bout » (elle répète souvent cette phrase un peu mystérieuse dont on ne comprend jamais vraiment la signification exacte), Gracieuse tente d’attirer l’attention de Mann, non sans que de nombreux conflits éclatent entre elle, Mann, la propriétaire et sa fille, et la riche américaine maîtresse de Mann.
D’emblée le film déroute, dans sa forme comme dans son ton : il contient une dimension documentaire très forte, on sent que Mazuy connaît très bien le milieu qu’elle filme, ses codes, ses luttes de pouvoir, la place primordiale qu’y occupe l’argent et la façon dont ça rejaillit sur les rapports humains… Mais il n’a pour autant rien de naturaliste dans son traitement. Les dialogues ont quelque chose de très marqué, dans leur écriture très sophistiquée qui saute souvent d’une langue à l’autre, parfois même au sein d’une même phrase, comme dans la diction des comédiens. Beaucoup parlent français avec un accent étranger (Mann et son accent allemand, sa maîtresse et son accent américain), certains parlent une langue étrangère avec un fort accent français (Balasko en anglais et en allemand). Tout ça donne au film un rythme, un musique très étrange, un peu hachée, qui a au départ un côté affecté pas très agréable, auquel on finit par s’habituer et qui donne au film une identité forte. Mais il y a musique encore plus étrange dans ce film : celle de John Cale. Une espèce de rock instrumental très lent, qui donne l’impression d’un son un peu 80’s et sous-produit, et pour tout dire un peu kitsch, en lui-même et dans son utilisation (la façon dont Mazuy le fait entrer dans les scènes, la façon dont il accompagne ces images d’équitation…). Vraiment très curieux. En tous cas ça accentue le côté malade et un peu fou du film.
Pour en revenir aux acteurs : au-delà de leur diction, ils font preuve de fulgurances de jeu absolument étonnantes, qui d’évidence ont été très travaillées avec Mazuy : Marina Hands dégage quelque chose d’animal et de très beau, à la hauteur de son travail sur Lady Chatterley. Elle y parvient autant par son corps (littéralement habité et dont on sent la proximité réelle avec les chevaux – elle a fait une belle carrière de cavalière avant d’être actrice) que par sa voix et son visage, comme dans ces fins de scène où elle laisse échapper de petits cris, entre rire et râle de contentement. Où comme dans cette scène superbe où elle part en Allemagne rejoindre les autres au concours de dressage, où elle roule toute la nuit en répétant des litanies de combinaisons, le regard borgne exorbité et aveuglé par les phares des autres voitures, jusqu’à ce que son visage se superpose avec des chevaux en mouvement. Le jeu de l’actrice et la mise en scène de Mazuy se rejoignent dans une espèce d’exaltation assez démonstrative, très marquante, impressionnante sans être tape-à-l’œil. Bruno Ganz est au diapason. Entre vieillard en perdition et séducteur jouissant d’une aura intacte dans son milieu, l’ambivalence de son personnage est résumée par sa maîtresse américaine : « comment peux-tu être aussi sexy en étant aussi vieux et rabougri ? ». Le jeu de Ganz rend tout ça à merveille, il parvient à dégager un beau mélange de résignation et de rage rentrée, qui explose par intermittence.
La relation Gracieuse/Mann et son évolution est très étrange. Le film saute d’un point de vue à l’autre : on démarre avec elle, on poursuit avec lui, on revient sur elle, puis les va-et-vient se sont plus rapides et les deux se mêlent brièvement in fine. Comme il l’est explicitement dit dans le film, ces deux-là n’aiment pas les gens, ils n’aiment que les chevaux. Et leur « rapprochement » ne sert à l’un comme à l’autre que comme un facteur d’épanouissement de leurs rapports aux chevaux. L’idée est assez belle et culmine avec la scène sublime où Gracieuse, après son périple nocturne, parvient finalement à faire la démonstration de ses progrès (et de ceux du cheval « foutu » sur lequel elle a jeté son dévolu) auprès de Mann. Je ne veux pas vous raconter cette scène dans le détail, mais la puissance de sa mise en scène, et finalement sa puissance sexuelle, aussi intense qu’inattendue, est absolument impressionnante.
J’avoue ne pas connaître le reste du cinéma de Patricia Mazuy, mais ce Sport de filles fait forte impression. C’est un film souvent inconfortable, qui donne parfois une impression de ratage, ou en tous cas de fausseté et de déséquilibre, mais ces apparentes imperfections semblent curieusement volontaires et maîtrisées, et la singularité et la force du regard de Mazuy emportent finalement tout.
J’avoue ne pas connaître le reste du cinéma de Patricia Mazuy, mais ce Sport de filles fait forte impression. C’est un film souvent inconfortable, qui donne parfois une impression de ratage, ou en tous cas de fausseté et de déséquilibre, mais ces apparentes imperfections semblent curieusement volontaires et maîtrisées, et la singularité et la force du regard de Mazuy emportent finalement tout.
Sport de filles de Patricia Mazuy avec Marina Hands, Bruno Ganz et Josiane Balasko (2012)
Ca me fout la gaule. Pas trop envie d'aller le voir au ciné (tu sais que j'y vais peu) mais chez moi calé entre un plaid et un balisto, ça me dit bien bien bien !
RépondreSupprimerÇa rend putain de curieux !
RépondreSupprimer+1
SupprimerPatricia Mazuy et Marina Hands étaient invitées à l'émission Plan B pour Bonnaud fin janvier pour parler de ce film, et toujours de manière très très intéressante, qui donne envie de découvrir le film.
RépondreSupprimerEt donc, le lien pour ceux que ça intéresse :
http://www.lemouv.fr/diffusion-invitees-patricia-mazuy-et-marina-hands
Merci pour le lien !
SupprimerÉtonnant qu'avec ce cheval il n'y ait cette fois-ci pas l'ombre d'une bite...
RépondreSupprimerFélix, je ne partage pas vraiment ton enthousiasme sur ce film mais il fait plaisir à lire et je n'aimerais pas le refroidir en soulignant que je n'ai pas eu envie de le regarder (même gratuitement) et que je ne le verrai jamais (parole d'homme) :D
RépondreSupprimer1 partout, balle au centre :)
Supprimer:D
SupprimerBien vu ! Captée hier soir à la télé, cette éblouissante leçon de dressage m'a réconcilié avec le cinéma équestre et me fait japper avec les loups !
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