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1 mai 2011

Road To Nowhere

Monte Hellman a bien rappelé à l'issue de la toute première projection du film au California Institute of the Arts que son nouveau long métrage, réalisé après plus de 20 ans d'absence (son dernier film, Iguana, date de 1988), était en réalité son "projet de fin d'études". Autrement dit Road to Nowhere est un projet vieux d'une quarantaine d'années. Autant dire que si Hellman avait réalisé ce film à l'époque où il en a conçu l'idée, il aurait très certainement bouleversé le cinéma moderne, ou l'aurait tout au moins largement marqué de son empreinte pour le transformer dans les grandes largeurs. Mais en 2011 ce film souffre au bas mot d'une bonne dizaine d'années de retard. Quand Emmanuel Burdeau évoque Mulholland Drive lors de son long entretien avec Hellman (dans le plaisant Monte Hellman, Sympathy for the devil, paru récemment aux éditions Capricci), ce dernier botte en touche. Pourtant il est difficile de ne pas penser au plus célèbre film de David Lynch devant celui d'Hellman, et même si on se limite à ce seul point de comparaison (on pourrait en trouver bien d'autres, ne serait-ce que l'épuisant Inland Empire, émule fantasque de Mulholland Drive par le même auteur survolté), il faut bien dire qu'il suffit à annuler tous les effets de Road to Nowhere et à le faire passer pour largement désuet. La réflexion méta-discursive sur le cinéma art de l'illusion, les citations directes, à grand renfort de longs extraits plein écran sur le mode admiratif (Preston Sturges, Victor Erice et Ingman Bergman), les troubles d'identités d'une actrice qui devient littéralement la femme fatale qu'elle incarne à l'écran et le jeu narratif retors sur les différents niveaux de réalité, voilà qui nous rappelle quelque chose, à vrai dire ça nous en rappelle même pas mal et ces souvenirs sont invariablement plus heureux ou du moins plus frappants que le film que nous avons sous les yeux.




L'histoire de Road to Nowhere est assez complexe. Pour en faire un résumé approximatif (car tout n'est pas compréhensible) : le jeune réalisateur Mitchell Haven, double patronymique et fictionnel d'Hellman, on l'aura compris, entreprend l'adaptation d'un fait divers récent impliquant un politicien corrompu et richissime et sa mystérieuse fiancée, Verna Duran, disparus avec un gros pacson de dollars. Le montage amalgame diverses temporalités et, au début, confond un peu le spectateur. Mais assez vite le système narratif devient clair et les seuls véritables mystères qui subsistent concernent non plus la distinction entre le film et le film dans le film mais seulement quelques détails accessoires du fait divers. Néanmoins on ne se pose pas vraiment de questions face à ces manques du récit et c'est bien le symptôme d'un film dont on se désintéresse peu à peu : sitôt vu, sitôt oublié, ou pas tout à fait mais presque. L'histoire et les personnages sont le principal défaut du film. Au fond il ne s'agit jamais que d'un cinéaste falot qui tombe amoureux de son actrice au point de transformer son tournage en idylle romantique et son film en ode à cette femme (ce qui ne manque pas d'agacer son scénariste sans intérêt dans une suite de scènes qui deviennent un leitmotiv agaçant). Très belle femme, il faut le concéder. Shannyn Sossamon est une très belle femme, à mi-chemin, physiquement mais aussi par sa présence et son jeu, entre Emmanuelle Seignier et Nathalie Roussel. On comprend qu'Hellman soit tombé sous le charme de l'actrice (au point de l'annoncer dans le rôle titre de son prochain film) et que son double dans la fiction ne s'intéresse qu'à elle.





"Everything is casting" dit Hellman (dans le livre sus-cité), et Mitchell Haven le répète en bon porte-parole (dans le film qui s'avère moins intéressant que l'entretien qui le commente) : "90% de la mise en scène, c'est le casting, j'ai même oublié les 10% restants". D'où deux constats : l'essentiel n'est qu'en partie assuré puisqu'en dehors de Shannyn Sossamon, qui nous apparaît très belle sans d'ailleurs que la mise en scène ne sublime de façon particulièrement sidérante sa beauté et sans que son personnage ne soit jamais digne d'intérêt, le reste du casting (masculin notamment) est absolument sans relief, au moins aussi insipide que les personnages incarnés ; et puis surtout, beaucoup plus grave, le cinéaste, à l'image de son double fictionnel, a tristement bel et bien oublié ce qu'il considère comme les 10% restants du travail de mise en scène. Je suis un peu dur je l'admets, mais c'est la déception qui parle, car il n'y a rien dans la mise en scène scolaire de notre cinéaste adoré pour nous réveiller.





Les trois séquences les plus puissantes à ce titre surviennent dès le début du film : le suicide hors-champs, l'étrange crise de nerfs orgasmique de l'héroïne à l'entrée du tunnel où (ne) débouche (pas) la fameuse road to nowhere, et le crash d'avion dans le lac. On ignore la justification de ces événements et ce qu'ils signifient dans leur inscription précoce au sein du récit mais ces scènes sont fortes et provoquent chez nous de réelles émotions, pratiquement corporelles. L'ennui c'est que ces trois plans-séquences, sibyllins comme les meilleurs incipits d'Hellman, pleins de surprises et de promesses (auxquels on ajouterait presque celui, très long, où l'actrice se vernit les ongles et les fait sécher avec un sèche-cheveu dans les toutes premières minutes du film) sont contenus dans le premier quart d'heure : au-delà plus rien ne va. On regrette d'abord amèrement les deux chefs-d’œuvre d'Hellman, qui trouvaient leur point d'orgue dans leur dernier plan (Macadam à deux voies, The Shooting), on regrette ensuite ses autres grands films qui, bien que moins fascinants du point de vue plastique ou esthétique, avaient l'immense mérite de nous captiver avec des histoires originales et des personnages hauts en couleur (L'Ouragan de la vengeance, Cockfighter).




Même à la fin du film, quand tout bascule et quand l'actrice se confond avec l'héroïne du film dans le film lors d'un drame sanglant, la magie ne prend pas. Elle ne prend pas davantage quand le film devient un film dans le film dans le film avec ce travelling dirigé caméra au poing par Mitchell Haven, balayant la chambre d'hôtel et filmant Monte Hellman lui-même, concentré sur la scène. Pas non plus quand la caméra du personnage devient une arme face aux flics (dans une scénographie qui n'est pas sans rappeler le final de L'Enfer de Chabrol). Toujours pas avec ce panneau final, ultime pied de nez au spectateur, qui dit "This is a true story". L'exercice paraît bien vain car cette histoire ne nous intéresse pas, ni celle qui est tirée du fait divers, ni celle de ce tournage voulu inquiétant. La netteté de l'image (captée avec cet appareil photo d'une qualité d'image remarquable dont on nous rebat les oreilles) n'a pas plus de profondeur que les zones d'ombre du scénario. Reste une grande déception. Le projet a gardé la naïveté de l'époque où il fut imaginé sans s'acquitter des quarante ans qui l'ont vu vieillir pour se présenter à nous sous une forme attardée. On peut tout de même reconnaître un certain charme aux images de Monte Hellman qui, s'il a, une fois n'est pas coutume, cruellement manqué d'inspiration, n'a probablement pas tout perdu de sa sensibilité d'antan, du moins espérons-le.


Road To Nowhere de Monte Hellman avec Shannyn Sossamon, Tygh Runyan et Dominique Swain (2011)

12 commentaires:

  1. C'EST LE 400ème ARTICLE DU BLOG ! :D

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  2. Tu m'as flingué avec ce bout de phrase "l'entrée du tunnel où (ne) débouche (pas) la fameuse road to nowhere" :D

    Nathalie Roussel joue dans A l'Intérieur, tiens...

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  3. Je pense que je préfère garder d'elle le souvenir ému de La Gloire de mon reup et du Château de ma reum :)

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  4. Vision très juste d'un film qui, personnellement ne m'a pas déçu (je ne connais pas les précédents Monte Hellman), mais ne m'a qu'à moitié convaincu.

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  5. Quelque chose vient de tomber
    Sur les lames de ton plancher
    .
    Toujours le MEME filmeu qui passe

    Le mèèm filmeu qui passs !

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  6. Merci Adil Rami !

    Au fait, as-tu fait le choix de jouer en équipe de France ?

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  7. Pour chipoter (et parce qu'on retrouve la même erreur chez l'ami Joachim dans les "Cahiers), le dernier film de Monte Hellman avant "Road to Nowhere" est "Silent night, deadly night 3" (le titre fait rêver :p).
    A part ça, j'avoue pour ma part avoir été très séduit par ce film dont l'apparence un peu "ingrate" me semble receler de nombreuses richesses et une profondeur peu commune dans le cinéma américain contemporain (j'aime beaucoup la façon dont le cinéaste mélange le plus trivial et de grands thèmes universel -l'amour, la création,..."). Je suis certain que c'est un film qui vieillira très bien...

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  8. Et puisque c'est la première fois que je commente ici (sauf erreur), profitons-en pour saluer la qualité du travail effectué et le ton de ce blog. Bravo et bonne continuation.

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  9. Oui, et quitte à chipoter, Monte Hellman a également réalisé l'un des segments du film d'horreur à sketchs "Trapped Ashes" (aux côtés, notamment, de Joe Dante et Sean S. Cunningham). Un autre film d'horreur apparemment assez mauvais, donc.

    Et merci pour tes compliments, Dr Orlof ! :)

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  10. Et quitte à chipoter on pourrait sans doute trouver encore un autre "segment" de film réalisé par Hellman entre-temps, ou telle scène dirigée par lui, ou tel autre film terminé par ses soins, etc. Pendant 20 ans Hellman n'a cessé de travailler sur des films signés par autrui, il a réalisé des films revendiqués par d'autres, il a fait des courts métrages dont un sur la jeunesse de Kubrick diffusé à Cannes y'a deux ans, bref, certes, n'empêche que pendant vingt ans il n'a pas sorti un long métrage digne de ce nom, ou de son nom, au cinéma, c'est ça qui compte je crois.

    Je ne sais pas si ce film vieillira bien, et honnêtement je l'espère, mais j'en doute un peu, j'en doute même franchement. J'ai peur au contraire qu'il soit vite oublié, si ce n'est déjà fait.

    En tout cas merci pour ton commentaire et pour ta "salutation" Dr Orlof, ça fait un bail que je lis ton blog et je doutais que la réciproque soit vraie. Je suis ravi de découvrir le contraire !

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