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11 mai 2009

Séraphine

Il ne s'agit pas d'un remake de Seraphim Falls, ni d'un biopic de Marat Saphin. Pas de court, pas de filet, pas de "let", pas de smash, pas d'ace, pas de 40-A ni de tie-break en perspective. Par contre un gros silence de rigueur, comme à Roland-Garros pendant chaque balle. Sauf que la balle de match dure 2 heures. Deux plombes pour raconter la vie d'une peintre, Séraphine. Elle est peintre, pauvre, femme de ménage, elle en chie pas mal, elle est laide, elle est farfelue, solitaire, malaimée, taciturne, illuminée, simple, naïve, inspirée, bref range ta caméra Yolande, ton film je l'ai déjà vu et il me fait déjà chier.

On sent bien que Yolande Moreau a voulu faire un truc dans un certain genre. Son film c'est un peu la rencontre entre Lady Chatterley et Van Gogh. Normalement ça finirait en 69, mais là c'est juste un film. On sent bien que Moreau a été touchée et inspirée par la façon qu'avait Pascale Ferran de filmer la nature et ses petites merveilles. Sauf que dans Lady Chatterley il s'agissait d'une découverte permanente, et de l'éclosion d'une nature de femme. Là, la femme, parlons-en. Comment parler d'éclosion quand on parle de Yolande Moreau. La semaine dernière chez mes parents j'ai bouffé une grosse fondue suédoise (Munster, Gorgonzola, et Cottage), et à un moment j'ai sorti de l'appareil à fondue un gros truc qui franco ressemblait comme deux morceaux de fromage à Yolande Moreau.



C'est un film fait par des gros citadins abonnés aux palaces et aux paillettes, rois du Fouquets et si habitués aux limos qu'ils ignorent qu'il y a un métropolitain à Paris. Ces gens qui vont 7 jours dans l'année se frotter à la campagne dans un Sofitel high-tec et qui se barrent en courant sans payer au bout de 3 jours, pris du "mal du pays" et du manque de wifi. Ces gens-là qui ne supportent pas la pluie. Ces gens-là qui une fois tous les trois mois vont au parc Monceau et voient un rai de soleil percer à travers la cime d'un arbre bercée par une brise légère, et qui alors se rappellent ce que c'est que le printemps, l'herbe, la terre. Et alors on les voit, ces gens-là, tout émerveillés, pour un rien. Et tout émus. Avant de vite retourner se faire foutre dans leurs paradis bétonnés. Ces gens-là filment volontiers une table en bois sur laquelle se battent en duel les aliments idéaux d'une nature morte plus vraie que nature, une grosse miche de pain, un gros brie fondant, un pichet de rouge taché et un panier de légumes rassis qu'on garde de mois en mois pour torcher une recette de grand-mère à base de légumes cramés par le temps, à savourer avec du kéfir. Moi c'est mon putain de quotidien cette tablée là. Pour moi ce plan-là, ce plan de décorateur à la manque, il n'est pas "beau". Il est plutôt méga laid. C'est ma vie sur cette table. C'est mes dimanches après-midi passés entre quat'zieux avec ma mémé aveugle et mon pépé facho. Je la hais cette table-là fabriquée par mon oncle menuisier qu'on appelle Edgard aux mains de plomb. Je la gerbe tous les soirs. Mais pour ces gens-là elle est belle, parce qu'ils n'ont jamais eu à se la farcir tous les jours en priant le Bon Dieu pour un simple Bic Mac. Si je devais tourner un film y'aurait de "beaux" plans sur des tables ikéa couvertes de Big Mac et de sauce Deluxe.



A un moment dans le film on voit Yolande Moreau (qui elle au moins ne promet rien avec son nom, suffit d'entendre son blaze pour savoir qu'on aura un truc face à soi) qui va pisser dehors, debout, tout sourire, jambonneaux écartés, s'en foutant la moitié sur le tablier, regardant en l'air les rayons du soleil qui transpercent les feuilles d'un grand chêne centenaire. C'est le résumé le plus net et précis jamais porté à l'écran de ma chienne de vie. Chaque jour je vais pisser dehors, sous un grand peuplier. Et croyez-moi même en levant la tête aux cieux vers les feuillages ou les nuages, c'est loin de me faire marrer. J'hume l'air de la nature et il pue la pisse que j'ai retenu en moi toute la journée pour pas interrompre mon labeur de merde. Je fais une sale allergie au pollen et je m'arracherais bien les mains qui tiennent mon vit pendant que j'urine pour me gratter le haut de la raie de mon énorme cul enflammé par les floraisons printanières. Y'a rien de beau dans ce tableau-là. Cet arbre qui me fout le nez comme une pastèque, je chie dessous depuis tout jeune, et ce sont mes selles séchées par le soleil, fumier hors-pair fascinant Yolande Moreau, qui l'ont fait pousser cet enfoiré de peuplier. Ce film est idéal pour tous les cons qui aiment la nature au point de la garder sur dvd rangée dans leur meuble en tec. C'est aussi le seul biopic de peintre fait pour tous les allergiques de la gouache. Faut attendre une heure et demi pour voir Moreau tremper ses doigts dans son propre cul pour gicler sa merde sur la toile façon Ed Harris dans Pollux.


Séraphine de Martin Provost avec Yolande Moreau (2008)

2 commentaires:

  1. Encore un beau texte, qu'un individu traumatisé par une vie difficile a sorti de ses tripes. Chienne de vie, vie de merde, film de chiens.

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