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22 juillet 2008

Frontière(s)

Ce film est mauvais. C'est un mauvais film. Les personnages sont mauvais. Ils sont incarnés par de mauvais acteurs. Les personnages sont méchants. Ils font des choses qui sont mal. Ils les font avec méchanceté. C'est filmé avec méchanceté, comme si le spectateur était quelqu'un de mauvais à qui il fallait faire du mal. Par exemple : la caméra tremble sans cesse, peut-être parce que c'est une mauvaise caméra, ou bien parce qu'elle est tenue par quelqu'un qui sait mal la tenir. Peut-être aussi que la caméra est maniée par quelqu'un qui filme volontairement très mal. Mais dans tous les cas, c'est mauvais. Car cette façon de filmer provoque des maux de tête. Le réalisateur semble se donner un mal de chien à créer des images qui engendrent des maux de ventre. Les couleurs sont sales, c'est mal éclairé, mais ça, c'est fait exprès, car l'œuvre se veut laide et désagréable.



Le film commence très mal. Les gens dans la rue sont méchants, on est en pleine guérilla urbaine, on nage dans une très sale ambiance de laquelle se dégage plein de mauvaises ondes. On voit des affrontements entre les forces de l'ordre et les civils. Ces derniers se révoltent suite à l'annonce des mauvais résultats du premier tour des élections présidentielles. Alors les personnages principaux, tout aussi mauvais, décident d'en profiter. En pleine cohue, ils volent un gros stock de billets, ce qui est mal, car le vol est mauvais, et ils décident de s'enfuir à la frontière pour ne pas être pris par les policiers français, qui eux aussi sont des gens méchants. L'héroïne n'a pas l'air si mauvaise, mais elle est enceinte et la gestation se passe mal : elle pleure et hurle sans cesse car les gens autour d'elle sont méchants. Ça fait mal aux oreilles du spectateur et son enfant sera sans doute quelqu'un de méchant après avoir évolué dans un tel climat de haine et de violence. Toujours est-il qu'elle doit fuir la ville, elle et toute la méchante bande, pour ne pas finir derrière les barreaux. Sur la route, ces personnages méchants originaires de la banlieue parisienne découvrent les paysages campagnards qu'ils n'avaient encore jamais parcourus. Ils trouvent ça laid, ce qui est normal car dans ce film tout est laid. Arrivée en plein monde rural, tous nos mauvais personnages principaux découvrent aussi, via le très mauvais scénario de ce très mauvais film, que les gens de la campagne sont également très mauvais. Ils sont méchants. Le gérant du gîte dans lequel ils sont mal accueillis a la sale gueule défoncée de Samuel Le Bihan. Il a l'air mauvais. On nous le présente dans une petite séquence infâme où on le voit plonger ses doigts sales dans de la barbaque pas fraîche pour préparer un plat dégueulasse. On filme cette barbaque de très près, car c'est laid, donc c'est mauvais, comme le film, alors c'est raccord. Plus tard, en goûtant à ce plat, nos personnages diront "berk" car le plat a très mauvais goût ; mais ils le mangent quand même, comme le réalisateur, qui continue malgré tout à filmer. En plus de ce gérant hideux doublé d'un mauvais cuisinier, nos sales protagonistes rencontreront deux femmes très laides et très vulgaires. Ce sont des prostituées qui travaillent pour le gérant, mais ils s'en rendront compte seulement après avoir profité de leurs services. Un personnage dira de l'une d'elles, en prononçant très mal, qu'elle "pue de la chatte en plus". "En plus" car ce n'est pas tout, elle est également très laide et très vulgaire, mais ça, il était déjà au courant avant de découvrir sa chatte, alors le personnage fait ici preuve d'une certaine mauvaise foi. Peut-être aussi que le fait qu'il soit lui-même très laid et très vulgaire l'empêche de déceler ces défauts-là chez les autres. Bref, on ne sait pas. Un plan foutu là au hasard nous montre une très ancienne télé diffusant une image en noir & blanc de bien mauvaise qualité. Vous savez, ce genre de télé à l'écran bombé qui sont aujourd'hui de véritables objets de collection. Ce plan est là pour nous informer, comme si nous n'étions pas déjà au parfum, que nous nous trouvons dans un coin véritablement très en retard. Et le retard engendre le mal à la campagne, tout comme l'actualité la plus récente a mis le feu aux poudres en ville. Évidemment, les choses se gâtent, les gens deviennent encore plus méchants ; on apprend que certains d'entre eux sont des néo-nazis. Les spectateurs les plus courageux apprendront peut-être, au bout d'une heure et demie de souffrance, que la seule rescapée de ce carnage est l'héroïne enceinte.



En fuyant la violence de la ville pour se réfugier à la campagne, notre bande de méchants se retrouve donc dans un bien pire endroit. Car le film nous démontre qu'il est toujours possible de faire pire, de trouver pire, même quand on croit avoir déjà traversé les moments les plus difficiles. Le film évolue en crescendo dans le mauvais, dans le détestable et le médiocre. Il existe pire que ce film, c'est sûr, mais en commençant si mal et en finissant d'une façon encore bien pire, Frontière(s) se place là.


Frontière(s) de Xavier Gens avec Samuel Le Bihan, Estelle Lefebure et Karina Testa (2007)

10 commentaires:

  1. formidable chronique!

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  2. Je me joins à Emilien pour vous féliciter. Je ne tenais déjà pas à voir le film, vous ne faites que confirmer mon a priori.

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  3. J'ai presqu'eu l'impression de lire Emilien parler d'un fort mauvais album expérimental.

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  4. c'est parcequ'ils m'inspirent. je dois beaucoup à rémi et felix, felix et rémi. mes héros.

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  5. Vous vous êtes fait mal en matant cette merde on dirait. Pourriez-vous me faire la critique de Meurtrières de Patrick Grandperret (à tous les lecteurs du blog : allez sur le site des cahiers du cinema, puis dans la rubrique "rendez-vous", sélectionnez "cannes 2006", puis choisissez le débat du 21 mai avec Patrick Grandperret, cinéaste).

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  6. ahah pas mal celle-là!
    et je suis sur que tu pourrais écrire la même chose pour le prochain MARTYRS

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  7. À Anatole: Figure-toi qu'on a vu "Meurtrières", ou qu'on a commencé à le voir disons, il y a un certain temps. Et malgré l'immense confiance que nous avions en Pat Grandperret sur ce film, il s'est avérer une profonde déception. (Hande Kodja y a montré son corps ceci dit, mais ça ne suffit pas).

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  8. Le premier paragraphe de ce texte frôle le génie. Un peu comme l'échange répété à l'infini entre Dashiell Hammett et la Commission des activités anti-américaines, quelque chose de ce genre :

    « Je refuse de répondre car la réponse pourrait me porter préjudice.

    - Je vous ordonne de répondre.

    - Je refuse de répondre pour les raisons invoquées. »

    Face à la mauvaiseté et à la bêtise pures, une seule réponse : le refus systématique !

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