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11 février 2008

A History of Violence

Trois ans après Spider David Cronenberg récidive. Ralph Fienes n'est plus de la partie. Viggo Mortensen, auréolé du succès des Seigneur des Anneaux 1, 2 et 3, accepte le rôle de Tom Stall, personnage à double facette, afin de se donner une crédibilité en tant que comédien. Dans ce film-ci il ne se contente plus de trimballer une grosse épée, désormais il a un gros calibre et il s'en sert. Pour interpréter le rôle de Jack Stall (le fils de Tom), Cronenberg engage Ashton Holmes, c'est assez audacieux quand on sait que le personnage est tout au plus âgé de 17 ans et qu'Ashton Holmes soufflait sa 28ème bougie sur le tournage du film. Les maquilleurs auront bien essayé de dissimuler son énorme glotte, rien n'y fait, on n'est pas dupes. Deux acteurs relèvent un peu le niveau : William Hurt et Ed Harris. Deux interprètes de talent qui, eux, ont lu le scénario et en ont bien compris l'aspect comique.



David Cronenberg installe la tension dès l'introduction pour accrocher l'attention de son spectateur. Un plan-séquence démonstratif ouvre le film sur deux tueurs qui se regardent tuer tandis que Cronenberg se regarde filmer. Les deux assassins sont dans la routine, ils font leur boulot lentement, mécaniquement, et la caméra les suit sur la même ligne. Cronenberg dresse ensuite le portrait de la famille idéale Nord-Américaine. Quand la petite dernière se réveille en sueur après un cauchemar, c'est toute la sainte famille qui se plie en quatre pour la réconforter en souriant. Au petit-déjeuner, c'est la grande entente et la bonne humeur autour de quatre gamelles bien tassées de Quaker Oats. Edie Stall accompagne Tom Stall au travail où il rejoint ses employés modèles dans un bar impeccable. Le jeune et sympathique Jack Stall fait gagner son équipe au base-ball avant de s'incliner face au gros dur du lycée, car il est gentil. Et le soir venu, les enfants n'étant pas là, Madame Stall se déguise en pom-pom girl pour offrir à son mari sa millième première fois d'adolescent, un festival son et lumière de sexe brut. La libido du couple bat son plein tandis que les deux amants entament leurs ébats par un 69 d'outre-tombe. Cronenberg semble là vouloir alimenter sa réputation de metteur en scène sulfureux, en d'autres termes il cherche à signer ce film en montrant ce qui d'ordinaire n'est même pas suggéré dans le ciné grand public ricain, et qui pourtant est si banal.



Avec ces deux séquences, Cronenberg établit une sorte de dichotomie entre deux mondes diamétralement opposés. Il y a deux catégories de gens, les tueurs laids et méchants absolument dépourvus d'humanité qui abattent une petite fille innocente, "inutile", de sang froid, et la bonne famille idéale pleine de bons sentiments et de gaieté à revendre. Pour passer d'un monde à l'autre, Cronenberg s'inspire d'un raccord d'Il était une fois dans l'ouest, et passe du coup de feu plein cadre sur une gamine inconnue au cri strident de la fille Stall qui s'éveille d'un cauchemar, comme Leone passait du coup de revolver d'Henry Fonda au sifflet aigu d'une locomotive au début de son chef-d’œuvre. La menace plane sur le monde apparemment calme et sans faille de Tom Stall... Après les présentations consécutives de ces deux sphères hermétiques et contraires, on admire le fils Stall qui, du haut de ses dix ans d'avance sur ses camarades et de retard sur la vie professionnelle, s'emballe facilement la fille la plus laide de son établissement scolaire sur un trottoir quand, soudain, le gros dur qui lui cherchait des noises au début du film arrive au volant de sa voiture et s'apprête à lui tomber dessus. C'était sans compter sur le gros 4x4 des deux tueurs de l'introduction qui vient bloquer sa route. D'un simple regard les deux tueurs font oublier les mauvaises intentions du petit caïd à l'égard du fils Stall. Les gros poissons mangent les petits, c'est la chaîne alimentaire, plus le bolide est gros plus son conducteur est dangereux. C'est brillant. Aussitôt après, les deux tueurs s'arrêtent dans le bar de Tom Stall. Le gros dur du lycée a joué l'intermédiaire, le passeur, le pont entre le monde des méchants et celui des honnêtes gens.



Les deux tueurs braquent alors le bar de Tom Stall, qu'ils prennent pour un dénommé Joey Cusack, mais notre papa poule et barman idéal les désarme et les tue avec une facilité déconcertante. Le personnage principal du film devient alors à proprement parler son "héros". Mais ce n'est que le début de ses déboires. Suite à cet acte de bravoure, Stall devient une héros national en même temps que la proie des médias, et c'est ainsi que ses vieux démons reviennent le hanter en la personne de Carl Fogarty (Ed Harris au top dans un rôle de borgne). La scène où Fogarty rend visite à Tom Stall dans son bar va plonger l'entourage du héros (contrairement au spectateur) dans une longue période de doute quant à sa réelle identité. Cronenberg perd son temps et aiguille laborieusement le spectateur vers la solution que nous avons tous devinée de longue date : Tom Stall EST Joey Cusack. Aucun spectateur ne doutait plus de la réponse depuis l'entrée d'Ed Harris dans le bar, aidés en prime par le jeu d'acteur tout en finesse de Mortensen... A noter, peu après, une scène ô combien pénible où Viggo court en traînant la patte derrière la voiture de Fogarty dont il croit qu'elle se dirige vers la maison familiale. Il aura alerté sa femme pour rien, Fogarty voulait seulement l'effrayer. Le plus ennuyeux n'est pas le faux suspense installé par Cronenberg mais la façon peu crédible et agaçante qu'a Tom Stall de se justifier de cette alerte auprès des siens. Cronenberg répète ses scènes et ses effets dans le magasin de chaussures où Edie Stall (Maria Bello) croira avoir perdu sa fille et la retrouve près d'un Fogarty apparemment amical. Scène sauvée de peu par un Ed Harris de haute volée qui conclut la scène par un inoubliable et mélodieux : "Mrs Stall, don't forget your shOOooes". Le film prend alors des allures comiques déjà entretenues, peu ou prou intentionnellement, par le caractère risible de certaines scènes (dont celles consacrées au rapport père-fils qui sont d'une simplicité et d'un cliché aberrants) et de certains personnages (les deux tueurs du début).



Le point de vue apparemment manichéen de Cronenberg pourrait sembler renversé par le personnage de Tom Stall qui semble tant bien que mal faire le lien entre les deux catégories de personnes présentées au début du film, lui qui réunit le papa modèle et le tueur sans scrupule. Quand Edie Stall découvre la vérité sur le sombre passé de son époux, elle vomit littéralement ses mensonges mais ne condamne pas le tueur qu'il a été, allant jusuqu'à l'innocenter auprès du shérif : c'est alors que survient le second rapport sexuel du couple. À ce moment précis de l'histoire du couple Stall, on ne peut plus décemment parler de "faire l'amour". Edie frappe Tom au visage, lequel riposte fermement, se transformant aussitôt en Joey Cusack, qui semble exciter Edie suffisamment tandis que la tendresse du premier rapport est remplacée par la brutalité d'une levrette à même l'escalier en bois d'ébène de la baraque.



Tom Stall n'est pourtant pas vraiment Joey Cusack, dont il devra se laver à la fin du film dans une scène pseudo christico-mystique avant de retrouver sa famille. De facto, le manichéisme échafaudé au début du film et que l'on croyait dissout par ce personnage complexe se voit renforcé par sa dualité même puisqu'il y a deux personnages en un que tout oppose, qui ne peuvent cohabiter. Tom Stall tue son frère, son alter ego maléfique, et redevient cool.



Cronenberg prétend vouloir filmer la violence dans son plus simple appareil, le plus banalement qui soit. Or s'il parvient à restituer la rapidité de tout affrontement et son aspect définitif, il se veut très maniéré et franchement esthétisant. Après chaque combat il nous gratifie en prime d'un gros plan agressif, hyperréaliste et inutile sur les visages défoncés des victimes de Stall. Là encore, par ces effets gratuits, Cronenberg semble vouloir renouer avec ses antécédents de réalisateur de séries B et poser sa marque sur un film pourtant destiné au plus large public possible. N'est-ce pas là une façon pour Cronenberg, à l'image de son personnage principal, d'être rattrapé par un passé qu'il s'efforce de noyer au profit d'un statut plus enviable d'auteur qui ratisse large ?


A history of violence de David Cronenberg avec Viggo Mortensen, Maria Bello et Ed Harris (2005)

2 commentaires:

  1. Tiens je savais pas que le jeune l'était pas.
    Cette chronique inédite était savoureuse.

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  2. Mais c'est entièrement ça, cette chronique resume magistralement ma pensée sur ce film de merde!

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