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21 février 2024

La Mesita del comedor

Très rares sont les comédies horrifiques qui savent manier et convenablement doser l'humour noir le plus grinçant sans pour autant sacrifier la crédibilité du scénario et la psychologie des personnages. C'est qu'il faut pour cela trouver un savant équilibre et le tenir jusqu'au générique final, ce à quoi parvient étonnamment l'espagnol Caye Casas dans son premier long métrage réalisé en solo, La Mesita del comedor, littéralement La Table basse. Drôle de titre pour un film de genre, me direz-vous, mais il est tout à fait cohérent puisque ledit meuble est à l'origine du terrible cauchemar éveillé dans lequel nous invite sans ambages le cinéaste. Dès la première scène, le couple au cœur du film, accompagné de leur nouveau-né dans sa poussette, est en magasin face à la table au design douteux et à son vendeur ventripotent, usant d'arguments tout aussi douteux. Une discussion tendue entre l'homme, Jésus (David Pareja), désireux d'acquérir la table basse, et sa femme, Maria (Estefanía de los Santos), qui n'en veut surtout pas dans son salon, ouvre les hostilités. Déjà, le ton du film entier est donné et la mise en scène, faite de plans très courts aux multiples angles osés (des choix pas toujours très heureux que ne renieraient pas Jean-Marie Poiré), annonce aussi la couleur. Court, le film a le mérite de ne pas perdre de temps. La scène suivante nous montre Jésus transporter très difficilement le carton contenant la fameuse table dans les escaliers jusqu'à son appartement. Il ignore encore qu'il regrettera amèrement cet achat... Et je ne peux absolument pas vous en dire plus tant ce film s'appuie sur un effroyable évènement, survenant très tôt, qu'il serait idiot de vous dévoiler. Sachez juste que le pire est toujours possible quand nous sommes en présence de l'œuvre féroce d'un catalan provocateur et sans limite, au goût du blasphème prononcé, bien décidé à prendre le spectateur en tenaille. 


 
 
Sur un temps resserré, dans un décor quasi unique et grâce à des acteurs irréprochables (mention spéciale à la jeune voisine du dessus, amoureuse de Jésus), Caye Casas réussit son coup. Son œuvre est vouée à faire parler d'elle dans les divers festivals où elle sera projetée (je l'ai pour ma part découverte dans le cadre de la 25ème édition du Festival Extrême Cinéma de la Cinémathèque de Toulouse et d'une carte blanche à l'équipe du Grindhouse Paradise), à jouir d'un excellent bouche-à-oreille, et à plaire aux amateurs voire un peu au-delà de leur cercle restreint. D'une idée initiale a priori fragile et ténue, Casas tire un film qui se tient de bout en bout, parvenant même à une certaine épaisseur psychologique et à nous bousculer un peu. Il est en effet rare que l'on se mette ainsi à la place des personnages, en particulier devant de tels films qui, généralement, nous proposent des situations trop "bigger than life" pour que l'on puisse s'identifier et s'interroger à notre tour. Ce qui arrive ici est horrible aussi et relève du plus affreux des cauchemars mais, grâce à l'équilibre miraculeux évoqué dans mes premières lignes, on se projette et on passe un moment à se demander ce que l'on ferait dans pareille situation. La résolution finale choisit par Casas et le couple à l'écran s'impose à nous avec la même implacable fatalité. C'est là l'une des vraies forces de ce film par ailleurs modeste et malicieux, qui ne prétend pas à autre chose que nous faire passer une soirée en enfer. Dommage, cependant, que les talents de réalisateur de Caye Casas ne soient pas à la hauteur de ses dons d'écriture (saluons également Cristina Borobia, co-scénariste). Force est de constater que le film ne brille pas par la finesse de sa mise en scène et il y a quelques scènes qui pêchent par une lourdeur visuelle regrettable, soulignée par des choix musicaux du même tonneau. On s'étonnera par ailleurs que la photographie soit si sombre, au point parfois de pouvoir à peine deviner les traits du visage de David Pareja (admettons que cela colle à son rôle et que cela confère au film une ambiance ténébreuse raccord avec ce qui s'y passe, mais c'est franchement pas un régal pour les mirettes). Ces bémols importants, certes, sont toutefois largement insuffisants pour gâcher le plaisir quasi masochiste ressenti devant cette épouvantable parenthèse domestique noire de chez noire. Car La Mesita del comedor a enfin la précieuse qualité de distiller des ellipses bienvenues et de s'avoir s'arrêter quand il faut. Nous sommes donc désormais curieux de suivre la carrière de Caye Casas, en espérant que son style s'affine mais qu'il garde tout son mordant. 




La Mesita del comedor de Caye Casas avec David Pareja, Estefanía de los Santos et Claudia Riera (2022)

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