Une suite de flashbacks s'enchaînant à un rythme assez soutenu et épousant différents points de
vue nous révèlent progressivement comment un policier débutant a pu tuer une jeune
collègue infiltrée dans le milieu de la drogue. Nous sommes au début des
années 70 et le film de Milton Katselas cristallise les tensions de
cette époque en nous dépeignant un New York poisseux et bouillonnant où
la police est plus occupée à couvrir un scandale qu'à faire régner la
justice dans des rues où la drogue et la prostitution sont omniprésentes.
C'est donc un rapport confidentiel (le titre français du film, qui lui
va plutôt bien, étant donné sa si modeste et injuste notoriété) dont
nous avons l'impression d'éplucher chacune des pages en détail, du début
de l'affaire, qui correspond à l'entrée dans la police de ce flic frêle
et sensible, à sa résolution, c'est-à-dire les choix faits, dans le
secret de grands bureaux à la lumière tamisée, par le chef de la police
pour limiter ses conséquences, pour couvrir les failles et les
incompétences des uns et des autres.
On
peut d'abord craindre que le personnage au centre de l'intrigue, ce
rookie au charisme inexistant qui apparaît d'emblée si fragile, ne soit
un peu trop léger et transparent pour nous intéresser. Mais nous
découvrons petit à petit la belle personnalité de cet ancien hippie qui reconnaît, face à ses interrogateurs, s'être engagé dans les rangs des
forces de l'ordre pour faire plaisir à son père suite à la mort de son
frère
au Vietnam. Ce jeune flic, campé avec sensibilité par un Michael
Moriarty très crédible, n'a pas peur d'afficher ses convictions et ses
valeurs au collègue plus expérimenté qui lui est assigné, incarné par le
sympathique Yaphet Kotto, et ses idéaux vont se confronter à la rude
réalité. Nous percevons, sans que cela ait besoin d'être trop appuyé, le léger trouble qu'il ressent lorsqu'il rencontre la flic infiltrée, là encore solidement jouée par une charmante et énigmatique Susan Blakely. Ce personnage singulier prend donc peu à peu une vraie
épaisseur et finira même par nous émouvoir, victime d'un monde
impitoyable, lors d'un ultime plan cruel qui reste durablement en tête
et achève de faire de ce Report to the commissioner une charge
virulente contre la police et ses dérives.
Milton Katselas semble également prendre la photographie d'une période : il
nous montre sans chichi le racisme
et la violence sous-jacente de la société américaine d'alors, avec le
traumatisme, si prégnant, de
la guerre du Vietnam, régulièrement évoquée dans les dialogues, et
l'évocation explicite de la lutte pour les droits civiques des noirs.
Le
scénario, que l'on doit à deux spécialistes du polar
(Abby Mann et Ernest Tidyman), est tiré d'un bouquin de James Mills, un
type qui devait bien connaître l'ambiance du New York d'alors puisqu'il
est également l'auteur du roman Panique à Needle Park à l'origine du
mémorable film de Jerry Schatzberg avec Al Pacino. Ce scénar, c'est du
costaud : il est assez subtil et jamais manichéen, mais aurait peut-être
mérité d'être plus clair, plus explicatif, sur certains points, pour
éviter que l'on suspecte la moindre incohérence. Le cinéaste donne
l'impression de compter à fond sur la vigilance du spectateur, qui n'a
pas intérêt à rater la moindre réplique s'il tient vraiment à comprendre
le pourquoi du comment et à saisir chaque détail. Trois moments forts
sortent du lot : une poursuite très originale entre un cul-de-jatte
équipé d'une planche à roulettes et un taxi dans les rues bondées de la
ville ; une autre course poursuite, cette fois-ci à pieds, depuis les
toits des buildings jusqu'au hall d'un grand magasin, en passant là encore par
les trottoirs surchargés de la métropole ; puis ce climax étonnant, long
et tendu, claustrophobe... Il se déroule en bonne partie dans un
ascenseur bloqué entre deux niveaux où flic et dealer se retrouvent face
à face dans un des plus longs mexican standoff de l'histoire avant de
devoir faire preuve d'une certaine solidarité puis d'être tous deux pris
pour cible lors d'un final glaçant qui nous rappelle que nous sommes
loin d'être tous égaux face à une horde de flics prêts à appuyer sur la
détente.
Auparavant, nous aurons notamment eu l'occasion de reconnaître Richard
Gere dans un second rôle de mac au look douteux, pour sa première
apparition au cinéma, et de regretter parfois la
musique un peu datée d'un Elmer Bernstein en mode pilote automatique. Certes, il manque au film un brin d'intensité et une mise en scène plus
enlevée pour être du niveau des plus grands thrillers policiers
américains des années 70, mais il n'en reste pas moins une œuvre
sous-estimée,
injustement méconnue, qui mérite clairement le coup d’œil.
Rapport confidentiel (Report to the commissioner) de Milton Katselas avec Michael Moriarty, Yaphet Kotto et Susan Blakely (1975)
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