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21 avril 2018

Batman, Superman, Captain America & cie : voyous, vengeurs et capitaines d'industrie

Nous donnons la parole à notre fidèle pigiste philosophe, Paul-Emile Geoffroy qui a accompli l'exploit de trouver des choses très intéressantes à dire des films de super-héros américains actuels, à travers les cas de Batman v Superman, Captain American : Civil War et X-Men : Apocalypse. Place à l'artiste.

Il y a quand même un thème qui revient de plus en plus dans ces films de super-héros, celui du rôle de la puissance publique : point de vue libertaire contre point de vue "républicain". La franchise X-Men en est imprégnée depuis longtemps : c'est le désaccord Xavier-Magneto (surtout depuis la série de films préquellisants). Mais j'ai été étonné de retrouver ce thème aussi expressément central dans les deux gros blockbusters héroïsants de l'été 2016 (qui sont d'ailleurs de meilleurs films que le X-Men, et qui ont bien mieux marché que lui dans les salles). 




Après avoir dévasté un pays pour stopper un robot qu'ils avaient eux-mêmes créé (dans un film précédent de la franchise), les Vengeurs se trouvent forcés d'accepter une tutelle gouvernementale. Certains seront d'accord, d'autres vont virer "voyous" (rogue, en anglais). Ce qui est étonnant, c'est que le meneur de chacun des deux camps n'est pas celui qu'on aurait pu imaginer. Le "voyou" en chef est Captain America, qui devrait pourtant, en tant que porte-drapeau, soldat, patriote, mener l'équipe des "gouvernementaux". Or, ceux-ci sont menés par Iron Man, le capitaine d'industrie, le riche play-boy jemenfoutiste que l'on aurait plutôt attendu dans le rôle du libertarien prêt à créer une île de toutes pièces dans les eaux internationales, loin de toute juridiction. 




Le fait est que ces rôles inversés reviennent chez DC Comics où c'est Superman (qui porte, lui aussi, les couleurs américaines - plus ou moins - sur le torse) qui est un "voyou" (malgré lui, certes). De manière moins psychologiquement fine que chez les Vengeurs, Superman le sauveur-qui-détruit-les-villes-en-les-sauvant se laisse amener devant une cour de justice dans ses jambières de spandex, mais ça ne mène à rien et, finalement, il attise par son comportement une vindicte populaire contre le "false God" qu'il est devenu. Et c'est le capitaine d'industrie, le riche play-boy, Bruce Wayne qui, revêtant son armure tel un Iron Man gothamien, va faire tout son possible pour ramener le voyou à la raison. 

Parallélisme, donc, entre Marvel et DC. Peu étonnant, puisque les héros y sont souvent analogues, et puisqu'en prime les studios aiment sortir les exacts mêmes films au même moment.




Les conclusions sont elles-mêmes analogues : Batman et Superman, après s'être finalement alliés, vont monter un front commun. Certes, Superman meurt-il, mais Batman va bâtir sur sa tombe une équipe de super-types (et meufs) prêts à en découdre sans forcément rendre des comptes. De même, après s'être bien torchés la race, Tony Stark et son pote Cap' vont finalement se liguer contre un gouvernement un brin porté sur le contrôle et l'enfermement arbitraire, et leurs futures aventures seront sans doute hors de tout contrôle. 




La "morale" est donc la même : à trop représenter la patrie, on se l'aliène, et à trop accepter ses règles, on se trouve forcé de s'en défaire (quand on veut "sauver le monde"). Or, de nos jours, qui sont les super-héros, ceux qui dépassent les limites, ceux qui veulent "sauver le monde" (malgré lui) ? Les Superman et les Captain America n'existent pas, ils ne sont qu'un faire-valoir, un symbole de l'état. Mais les Tony Stark et les Bruce Wayne, eux, existent bel et bien. Ils vivent dans la Silicon Valley et rêvent de s'extraire d'un fédéralisme pesant pour mettre en pratique leurs "pouvoirs" sur des terres incontrôlées. Ils travaillent dans la robotique et dans l'armement, chez Google et ailleurs. Et la morale de ces films n'est pas peu claire : ils doivent, pour continuer leur job, se défaire de la tutelle qu'on leur impose. 




Qui sont les "méchants" de ces deux films ? Celui qui provoque la guerre civile chez les Vengeurs est un type au passé trouble, certes, mais rangé des voitures et qui ne sort de sa retraite que pour venger sa famille, massacrée par les héros. Il devra payer sa vengeance orchestrée sans trop de dommages collatéraux contre ses seuls ennemis : les héros, les sauveurs qui tuent par erreur. Celui qui oblige Batman et Superman à s'entretuer est un autre capitaine d'industrie, Lex Luthor. Mais c'est un mauvais exemple du riche industriel. Non seulement son rejet de l'autorité gouvernementale ne se traduit-elle pas par un évitement mais par une confrontation (il tue des élus), mais en prime son activité industrielle n'est pas dirigée vers le bien de tous (comme le serait celles de Batman ou d'Iron Man) : il ne vise que son bien propre. Voilà qui sont les méchants : celui qui n'accepte pas les débordements des super-héros et celui qui, ayant le pouvoir, ne s'emploie pas à "sauver le monde". 




On peut tout aussi bien considérer que ces trois films sont assez mauvais et que ce que je raconte n'a aucun intérêt. Personnellement, j'y vois un symptôme très important de ce qui traverse la culture populaire américaine (et donc mondiale) : un discours politique sur la puissance publique, et un discours qui me semble donc assez dangereux, oligarchique sinon aristocratique (au sens où "arista" signifie "les meilleurs") et anti-Etat voire anti-républicain, libertarien à vrai dire. Chose peu étonnante quand on sait que le monde est mené de plus en plus par les géants de l'industrie américaine (et chinoise), eux-mêmes très largement libertariens. 

Par ailleurs, les trois films "passent crème", même si j'ai trouvé que le Captain était supérieur aux deux autres.


Batman v Superman : L'Aube de la justice de Zack Snyder avec Ben Affleck, Henry Cavill, Gal Gadot et Amy Adams (2016)
Captain America : Civil War d'Anthony et Joe Russo avec Chris Evans, Robert Downey Jr. et Scarlett Johansson (2016)
X-Men : Apocalypse de Bryan Singer avec James McAvoy, Michael Fassbender et Jennifer Lawrence (2016)

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