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20 mars 2018

All is Lost

Robert Redford prend l'eau pendant 1h30. Voici le scénario de ce film, pratiquement muet, à l'exception des quelques jurons que lâche la vedette en plein désespoir. Après Margin Call, son premier long métrage ultra causant et, je dois dire, assez épuisant, sur une bande de traders méprisables et en panique lors de la crise économique, J.C. Chandor a voulu prouver au monde qu'il était capable d'autre chose en nous livrant All is Lost, film de survie minimaliste, sans dialogue, avec un seul acteur à l'écran. Sorti la même année que Gravity, All is Lost a été présenté comme le pendant maritime du survival spatial très surestimé d'Alfonso Cuaron. Vu aujourd'hui, le film de Jean-Charles Chandor apparaît comme plus radical, plus humble et donc bien plus aimable que son jumeau étoilé. Mais arrêtons-là une comparaison qui n'apporte rien de très intéressant. Si je devais rapprocher All is Lost d'autres productions, il s'agirait de ces films courts et linéaires, à pitchs simplissimes tenant sur un post-it, nous proposant généralement pas plus de 90 minutes de tension, en temps réel parfois, avec un nombre très réduit de personnages coincés, qui doivent survivre en milieu hostile (au milieu de l'océan, Open Water, dans un cercueil, Buried, sur un tire-fesse, Frozen, dans une bagnole accidentée, Wrecked, derrière un pan de mur en Irak, The Wall, devant une comédie de Dany Boon, Raid Dingue, etc).




All is Lost s'étend quant à lui sur une semaine. Il commence par un flashforward, partie la plus causante de l'ensemble dans laquelle Bob Redford lit en voix off son ultime missive qu'il laisse dans une bouteille jetée à la mer, et ça sera la seule facétie d'un film au rythme régulier, avançant tout droit. Dès la scène suivante, un imposant conteneur à la dérive s'encastre dans le vieux monocoque en polyester, gréé en sloop, de Robert Redford, causant une sérieuse brèche par laquelle l'eau s'engouffre furieusement. Sérieusement touché, le navigateur solitaire devra ensuite affronter les tempêtes successives particulièrement violentes. Son naufrage durera donc une semaine. Une semaine que nous passons à ses côtés, tour à tour impressionné par le calme et la sérénité de l'homme livré à lui-même puis interrogatif sur certains de ses gestes et sur sa volonté réelle de survivre. N'ayant pratiquement aucune connaissance en navigation, je ne jugerai pas des choix et de l'attitude de Robert Redford. La façon qu'à J.C. Chandor de nous les dépeindre cultive volontairement le doute et c'est là l'un des aspects les plus intéressants du film, celui qui participe le plus à nous maintenir captivé.




Pas grand chose à reprocher à la mise en scène de J.C. Chandor, assez habile, réussissant à ne pas se répéter, malgré l'espace restreint, et qui, contrairement à d'autres, ne cherche pas à en mettre plein la vue via des plans séquences soi disant virtuoses ou autres tours de passe-passe numériques (suivez mon regard...). Lors des tempêtes, les effets spéciaux s'avèrent assez réussis et nous n'avons aucun mal à y croire. Quand, depuis la cabine, nous voyons le pauvre Bob Redford être balancé du sol au plafond au gré des chavirements du bateau, on trouve même ça plutôt impressionnant. La musique discrète d'Alexandre Ebert, récompensé d'un Golden Globe pour son travail, ne gâche rien. On s'étonne de voir le temps passer si vite et on apprécie ces images sous-marines presque abstraites de formes géométriques dérivant en contre-jour, notamment à partir du moment où Monsieur Redford occupe son radeau rond de survie. En bref, le film fonctionne assez bien, et c'est plutôt surprenant. Malheureusement, Chandor ne parvient pas tout à fait à dépasser son concept et nous ne projetons pas grand chose dans le personnage campé par Redford et dans la situation qu'il traverse. Le film est peut-être trop aride pour cela. C'est à la fois sa qualité et sa principale faiblesse.




Ce vieux conteneur malfaisant, vomissant des chaussures Nike dans l'océan, est-il une critique, une métaphore du capitalisme ? J.C. Chandor n'en dit pas plus. Ce conteneur s'en prend, en tout cas, à une grande figure hollywoodienne connue pour son engagement "à gauche" en la personne de Robert Redford. Un acteur vieillissant mais n'essayant en rien de dissimuler son âge sous de quelconques artifices, qui prouve ici qu'il est encore capable de tenir un film à bout de bras. Rien ne nous est dévoilé sur son personnage. Les observateurs remarqueront peut-être des photos de famille dans sa cabine ou d'autres détails, mais rien de très précis ni de plus explicite. Nous voyons seulement un homme à la dérive, perdu au milieu de l'océan indien et nous ne savons rien du tout de ce qui l'a amené à flotter là. Face à la façon plutôt stoïque et parfois nonchalante qu'a le bonhomme d'essayer de rafistoler son bateau, puis d'accepter son naufrage et d'affronter les éléments déchaînés, on se demande s'il n'est pas un brin suicidaire, désespéré, en fuite. Il y a quelque chose d'un peu fascinant là-dedans, mais ça ne va pas bien loin non plus.




Pour finir mon papier, je tiens à signaler un couac qui m'agace toujours terriblement dans ces films de survie. Quand bien même All is Lost fait partie du haut du panier dans cette catégorie, il n'échappe pas à ce problème majeur selon moi. Car un tel film devrait viser le réalisme total. Ce défaut réside dans la lucidité toujours au beau fixe du personnage, alors que celui-ci ne mange que des conserves et s'alimente le moins possible. Redford garde donc toute son intelligence, il redouble même d'ingéniosité pour créer un système qui lui permet de recueillir un peu d'eau potable à l'aide de la condensation de l'eau de mer. Pourtant, c'est bien connu, et j'en fais moi-même trop régulièrement l'expérience : la malnutrition et la sous-nutrition impactent immédiatement les capacités cognitives, la faculté de réflexion. Robert Redford reste quant à lui malin comme un singe malgré les deux flageolets et l'eau saumâtre avalés en guise de repas de midi et unique gueuleton du jour. Ça n'est pas crédible ! On peut cependant se demander si, dans des situations où l'homme doit lutter coûte que coûte pour son salut, celui-ci ne va pas puiser dans des ressources insoupçonnées pour faire preuve d'un peu plus d'intelligence. C'est là une question presque philosophique que je laisse entre vos mains. Pour ma part, je n'y crois pas. J'en fais moi-même l'expérience actuellement. A l'aide. 


All is Lost de J. C. Chandor avec Robert Redford et lui seul (2013)

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