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27 février 2018

La Forme de l'eau

Guillermo del Toro n'a toujours pas réglé son problème de chaises.  Après avoir cassé toutes les siennes, il a encore le cul paumé entre une paire de fauteuils. C'est son éternel problème. Ne parlons pas d'une connerie régressive sans ambiguïté comme Pacific Rim, non. Mais c'était déjà ce tangage entre deux eaux qu'on reprochait au cinéaste à l'époque du Labyrinthe de Pan, où des scènes enchanteresses avec un faune beau comme un cœur côtoyaient de longues séquences de torture en pleine guerre d'Espagne et des moments dignes du Pianiste de Polanski, où Sergi Lopez tirait des balles dans des tronches à bout portant et en gros plan. Glaçant contraste. Ici, une fois de plus, Del Toro ne sait pas qui viser. Le film semble presque s'adresser aux enfants, se présentant d'emblée comme un conte merveilleux mignon doublé d'une histoire d'amour fleur bleue, mais les parents venus avec leurs bambins dans la salle où j'ai assisté à l'événement cinématographique du siècle se sont montrés un peu gênés quand l'héroïne se masturbe dans sa baignoire les quatre fers en l'air, quand Michael Shannon pilonne sa femme sur son plumard en gardant ses chaussettes et en la muselant de sa main pleine de sang, quand Eliza, l'héroïne muette du film, tombe la chemise à la Zebda pour rejoindre le monstre sous la douche, ou quand le méchant de l'histoire, après s'être arraché deux doigts à grand renfort de bruitages gluants, tire un type par le trou sanglant qu'une balle vient de dessiner dans sa joue.




C'est tout le jeu de Del Toro, ce zapping dans les registres, mais une fois de plus c'est surtout bancal, et plutôt maladroit que fascinant. On aurait préféré un peu moins de niaiseries. Le film rend clairement hommage au Fabuleux destin d'Amélie Poulain de JP Jeunet, avec son héroïne handicapée sociale, qui se trimballe dans sa petite robe avec sa coupe au carré, fait des claquettes dans son couloir sur fond d'accordéon pour finir chez son voisin, un peintre raté reclus dans son appart qui sait "l'écouter" - quand Del Toro ne fait pas du coude à The Artist, notamment dans une scène de comédie musicale très embarrassante. On aurait surtout préféré un poil plus de trouble...




Très tôt, le bât blesse. En fait, dès l'apparition du monstre. On ne voit d'abord que sa main qui tape à la vitre, mais dès la scène suivante, la bête apparaît entièrement, sans davantage de cérémonie. Et personne ne s'étonne de l'apercevoir. C'est une créature incroyable et elle ne suscite aucune réaction particulière, pas plus chez les gens qui l'ont tirée des profondeurs que chez les femmes de ménage qui la découvrent avec nous. Certes, le merveilleux, contrairement au fantastique (et ici Del Toro a choisi son camp) repose en partie sur cette acceptation de l'impossible (Eliza va à la bête telle Alice suivant le lapin dans son terrier). Mais Del Toro oublie que le conte fait aussi la part belle à la terreur. Or, l'héroïne, ici, n'a pas peur, même une fraction de seconde, de cette chose qu'elle rencontre, y compris quand la bestiole lui hurle dessus sans ménagement au premier vrai rencard. Dans La Belle et la bête de Cocteau, ce dernier prenait la liberté, vis-à-vis du conte original, de faire s'évanouir Josette Day lors de la première irruption (pourtant assez risible) du lion humain face à elle. On partait donc de cette peur, transmise au public par cette réaction de l'héroïne à défaut de passer par l'apparence foireuse de la créature, pour ensuite assister à l'apprivoisement et à l'évolution progressive de leurs sentiments. 




Ici, et alors que la tête du monstre est assez bien fichue, aucun frisson, donc aucune évolution à l'horizon. La fille est d'emblée conquise et le spectateur n'aura jamais peur. Ce n'est pas en une scène, tardive, celle où la bête dévore la tête d'un chat, que Del Toro peut se rattraper aux branches, surtout si c'est pour nous rassurer très vite, quand le monstre, après être allé mater un film au ciné, revient à la maison, s'assoit gambas écartées façon Spiderman puis demande à ce qu'on lui caresse le crâne... En fin de compte, l'être millénaire tiré de son fleuve d'Amérique du Sud, ce dieu païen amphibie, n'est qu'un matou en chaleur. Alors que paradoxalement, physiquement, il est bien trop humain, et n'a finalement pas grand chose d'étonnant, encore moins d'affreux. Pire, Del Toro l'affuble de tablettes de chocolat et lui fait prendre en toutes circonstances des poses de dieu du stade élancé, musclé, cambré, bras légèrement écartés du buste, comme tout droit sorti d'une pub pour parfum. C'est donc ça, la "forme" de l'eau ? C'est au point que l'héroïne (et le spectateur avec elle) n'hésite pas longtemps avant de le rejoindre sous la douche pour un coït qui n'a rien de vraiment troublant (on aimerait même franchement y participer). Et pour la peur, il ne faudra pas compter sur le véritable monstre du film, le personnage du méchant, humain évidemment, incarnation de l'american way of life (Del Toro critique !), un militaire dur à cuire répondant à tous les clichés ou presque et impatient de disséquer le monstre sous-marin, incarné par un Michael Shannon à qui on a envie de dire "stop". Sans déconner, arrête maintenant Shannon, ne fais plus ça, ce genre de rôle, là, épargne-toi, épargne-nous, arrête !




Le cinéaste fin gourmet se révèle une fois de plus incapable de pondre quelque chose de véritablement intéressant visuellement (par exemple pour honorer le titre du film ! la meilleure idée est sonore : c'est peut-être ce bruit d'océan qu'on entend quand Eliza pose son oreille sur le torse de la créature), ou de parvenir à créer du trouble, pourquoi pas de la gêne, du malaise, au sein de ce qui n'est qu'un flot de bons sentiments. Del Toro n'y va pas de main morte, comme dans cette scène, au bar du coin, où en trois minutes il dénonce le mépris des homosexuels et celui des noirs dans l'Amérique des années 50 — on cherche désespérément un mexicain dans la pièce pour ramasser à son tour. Heureusement pour lui, Guillermo Del Churro maintient tout de même un rythme assez plaisant et ménage quelques touches d'humour, qui passent principalement par Dick Jenckins, le voisin chauve, et par Zelda, la collègue de boulot  loquace d'Eliza. Mais la vraie réussite du film, c'est de donner une seconde vie au Gill-Man, l'homme-poisson qu'on avait perdu de vue sur grande lucarne depuis L’Étrange créature du lac noir et ses suites. Tel Quentin Tarantino ramenant d'entre les morts quelques stars du passé, Pam Grier ou David Carradine (vite retourné entre les morts d'ailleurs, suite à une séance d'auto-érotisme particulièrement réussie), Del Toro relance la carrière du Gill-Man. Et là on dit merci.


Le Gill-Man à la grande époque, en plein âge d'or.

On n'avait plus beaucoup de nouvelles du Gill-Man sur les écrans. Les seules apparitions ou mentions publiques du Gill-Man, depuis pas loin d'une vingtaine d'années, passaient par les tabloïds ou des reconstitutions de drames sordides sur les pires chaînes de télévision américaine. Pour résumer, on se souvient que le 10 septembre 1986, après une trentaine d'années de frasques et de soirées endiablées sans pareilles organisées par le Gill-Man dans tout Los Angeles, la police retrouve, dans sa villa hollywoodienne, 3766 grammes de cocaïne après une (longue) perquisition. L'acteur aux branchies et aux ouïes encore pleines de poudre blanche est alors arrêté puis assigné à résidence. Il est ensuite condamné en première instance à 33 ans et 6 mois de prison pour trafic de drogue.


Avant / Après : à gauche, le Gill-Man participant au mondial de "La Marseille à Pétanque" en 1958 (il parviendra jusqu'en quarts de finale) ; à droite, le Gill-Man, lors de sa garde-à-vue pour trafic de stupéfiants à l'automne 1986.


Le Gill-Man bénéficie tout de même d'un traitement de faveur de la part du juge d'instruction, fan de séries B depuis sa plus tendre enfance : une des cellules du pénitencier d'Alcatraz est transformée en aquarium pour ses beaux yeux globuleux. Mais en 1990, après des années de procédures puis quelques unes passées en cabane, la cour d'appel de Californie relaxe le comédien palmé des accusations portées contre lui et le libère pour "bonne conduite". En effet le Gill-Man profite de son incarcération pour passer le permis B et l'obtient sans la moindre difficulté. Qui plus est, tel Tim Robbins dans Les Evadés (le plus grand film de l'histoire du cinéma, en partie inspiré de la vie du Gill-Man), le Thierry Lhermitte aquatique passe le plus clair de sa détention à dévorer (littéralement) la bibliothèque du campus pénitentiaire et à ravir les oreilles de ses co-détenus en réinterprétant les plus grands classiques du jazz en soufflant dans une conque. Après cette libération méritée, le désir du public de revoir le Gill-Man sur grand écran et surtout d'oublier ses mésaventures judiciaires est si fort qu’il aboutit à la production en 1993 de Libérez le Gill-Man, une énième suite du film qui le rendit mondialement célèbre presque quarante ans plus tôt. Mais sur le plateau la magie n’opère plus et le film est abandonné. Le décor servira finalement à la production de Sauvez le Willy.


A la fin des années 50 et tout au long des années 60, le Gill-Man est une star. On se bat pour le toucher, les femmes gravent leurs initiales dans ses écailles, et l'acteur n'est pas avare d'une ou deux courbettes, voire parfois d'un numéro de claquettes (silencieux, palmes obligent, qui plus est sur du sable), pour remercier ses fans.

Le Gill-Man subit ce revers non seulement comme un affront mais comme une trahison. En effet l'orque Willy était de ses amis, les deux acteurs ayant travaillé ensemble au MarineLand de Los Angeles dans les années 70, années de vache maigre pour l'homme des abysses. Malgré tout, le Gill-Man surfe sur les maigres restes de son succès d'estime, et cumule quelques passages remarqués dans des talk shows, notamment chez Oprah Winfrey, où il se livre à une véritable opération séduction : après avoir repris à la conque l'air principal de la bande originale de La Couleur pourpre signé Quincy Jones dans une version réintitulée La Couleur poulpe, le Gill-Man jongle avec deux bulots à la fois sous les yeux écarquillés de la prêtresse du paf, détendant l'atmosphère en ce 4 octobre 1995, au lendemain du verdict du procès d'O.J. Simpson diffusé en direct à l'antenne chez la célèbre animatrice. L'exploit n'est pas des moindres quand on sait que le Gill-Man souffre alors d'une entorse à la palme droite après son apparition en vedette lors de la finale de la ligue majeure de baseball en 1993, où il réceptionne mal la balle d'engagement lancée avec zèle par le lanceur star des Blue Jays de Toronto dans sa grande paluche palmée faisant office de gant géant. Lors de l'interview qui suit, le Gill-Man, euphorique et sans doute alcoolisé, tient des propos incohérents qui lui seront vivement reprochés. Revenant sur le procès du siècle, celui d'O.J. Simpson, le Gill-Man déclare à une Oprah abasourdie : "Évidemment qu'il est coupable. C'est un dingo. Mais une personnalité assez complexe et fascinante, en réalité, et certainement un bon gars".


 A la fin des années 60, le Gill-Man accepte de renouer avec son vieux pote Franky Stein (les deux hommes s'étaient violemment accrochés au détour d'un couloir des Universal Studios : une griffe du Gill-Man s'était prise dans une agrafe du crâne du mort-vivant) et se rend chez ce dernier pour une bouffe, incognito, pour échapper aux paparazzis qui le traquent sans relâche.

En dépit de ces moment de liesse sur les plateaux tv, au milieu des années 90 le comédien écume les castings en vain et supporte mal sa série de déconfitures professionnelles. Suite à des conflits répétés avec son propriétaire pour impayés et tapage nocturne, le Gill-Man est aperçu, muni d'un duvet, de son éternelle conque et de quelques cartons dans les rues les plus malfamées de la capitale du cinéma, seul, faisant la manche de sa seule palme valide, sa palme gauche (la droite, abimée, disparaissant pour plusieurs années dans le fond de sa poche, jusqu'à une opération miracle permise par les progrès récents de la médecine et financée avec joie par Guillermo Del Toro). Le Gill-Man, dès lors, et selon de bonnes sources, cède aux sirènes de la prostitution. Fort de son succès dans ce domaine (en tant que pure curiosité), il grimpe les échelons des grands réseaux de prostitution, s'exile en Europe de l'est et se voit propulsé par la mafia russe à la tête d'un établissement de passes. Poursuivi par des trafiquants revêches après des rixes à mains armées, le Gill-Man revient finalement aux États-Unis à la fin des années 90, où la cour pénale de Washington l'accuse d'extradition et de proxénétisme. Les répercussions de l'échec de son comeback puis de son succès dans la pègre, ainsi que ce nouvel imbroglio juridique, poussent le Gill-Man à définitivement abandonner sa carrière de comédien et de star du petit écran.


Une photo volée du Gill-Man à son retour sur le sol américain, après la traversée de l'Atlantique à la nage.

Après son retour aux USA, le Gill-Man, pour fêter le passage à l'an 2000, se soumet aux soins d'un chirurgien esthétique qui pratique une injection de collagène sur le visage du comédien sous-marin pour cacher quelques rides, mais l'effet, inattendu et dramatique, lui cause une violente allergie qui lui laisse des séquelles plus ou moins irréversibles. Un procès civil oppose le Gill-Man et le chirurgien. Après treize ans de procédures, la cour de Californie rejette sa demande de dommages et intérêts, jugeant que ses troubles dermatologiques sont dus à une réaction allergique appelée œdème de Quincke, certainement provoquée par l'ingestion de moules avariées.


 Le Gill-Man passe sur le billard pour un ravalement de façade qui tourne au fiasco.
 
Les charges sont levées à l’encontre du chirurgien, ainsi que sur le producteur et le réalisateur de la suite avortée du chef-d’œuvre de Jack Arnold, poursuivis eux aussi par le Gill-Man pour l'avoir poussé à suivre ce traitement. La lenteur excessive de la justice a provoqué un état de souffrance psychique profonde pour le Gill-Man, qui est admis au centre hospitalier spécialisé de Santa Barbara, ce qui pousse ses avocats à poursuivre le ministère de la Justice et à exiger une réparation financière par l’État du Missouri pour le préjudice subi.


Après maintes opérations et un abonnement intensif à la salle, le Gill-Man, quoique gêné par une bouche "à la Manu Béart" (sic.), est tout de même satisfait de son nouveau look.

Enfin, par décision du 23 mai 2015, la cour d'appel de San Francisco alloue un dédommagement de 108 000 euros au Gill-Man, correspondant aux dommages sur sa santé et sur son image. L'ancien maquereau vit alors retiré du monde, à Baltimore, dans le Maryland, à une quarantaine de kilomètres de Philadelphie, redécouvrant la foi et la pratique religieuse. Ce n'est que courant 2017 que Guillermo del Toro, cinéaste cinéphile nostalgique et bienveillant, prend contact avec lui et lui propose de se rendre chez lui, à Baltimore (qui servira de décor à La Forme de l'eau, ndlr), pour un repas à base de burritos de la mer, dont il garde le secret. Le Gill-Man accepte et c'est un comédien regonflé à bloc que découvre Del Toro. Profitant du petit pactole alloué par la cour d'appel de San Francisco, le Gill-Man est allé à la salle, tous les jours, et ne s'est nourri que de boîtes de sardines bio et détox pour séduire à nouveau : il est glabre, sec, fité, refait de la tête aux pieds. Voila pour la petite histoire de l'enfant-huître. La suite, on la connaît. C'est La Forme de l'eau. Je ne sais toujours pas quelle forme elle a, mais ce que je sais, c'est que le Gill-Man, lui, est en pleine forme. C'est bien tout ce qui compte.


La Forme de l'eau de Guillermo del Toro avec Sally Hawkins, Doug Jones, Michael Shannon, Octavia Spencer et Michael Sthulbarg (2018)

25 février 2018

Stronger

Au fil des ans, un lien secret et étrange s'est noué entre David Gordon Green et moi. Sans le vouloir, en cherchant parfois même à les éviter, j'ai pratiquement toujours fini pieds et mains liés devant ses films. Notre histoire avait bien commencé grâce à L'Autre Rive, que je considère toujours comme son chef d’œuvre, puis c'est allé de mal en pis... Le cinéaste natif de Little Rock, véritable caillou dans mes petits souliers de cinéphile, m'a systématiquement déçu alors que le destin s'acharne à toujours le placer sur mon chemin. Dernièrement, ce sont deux invitations pour Stronger, arrivées mystérieusement par la poste, qui ont prolongé le sort. Un film sur un pauvre gars qui a perdu ses jambes lors de l'attentat de Boston en 2013 ? A priori, rien de très sexy, d'autant plus quand on a déjà subi les gros sabots que peut parfois chausser David Gordon Green (souvenez-vous du traumatisant Snow Angels...).




Vie de blogueur ciné oblige, je n'avais cependant guère le choix. Il me fallait honorer ces maudites invitations. J'allais donc voir Stronger en traînant les pieds, bravant le froid et la pluie, la tête enfoncée dans les épaules, persuadé que David Gordon Green tomberait encore dans tous les travers pour nous livrer un bon gros mélo bien lourdingue, porté par un acteur capable du pire et rêvant d'un Oscar. Ces a priori si négatifs m'ont-ils permis de franchir l'obstacle Stronger avec une telle aisance ? Peut-être... Assez rapidement, en tout cas, mes pires craintes ont été levées. Et au bout du compte, force est de constater qu'avec un tel sujet et une telle histoire à raconter, David Gordon Green s'en tire pas si mal, voire assez bien. Stronger fait clairement partie de ce que le réalisateur a fait de mieux !




Un Jake Gyllenhaal amaigri et surmonté d'une tignasse rappelant Shaun le Mouton incarne donc Jeff Bauman, une des 267 victimes du double attentat qui frappa le marathon de la ville de Boston le 15 avril 2013. Sauvé de justesse par un chicanos de passage (ah, l'Amérique...), Jeff Bauman se réveille à l'hôpital, amputé des deux jambes mais érigé en héros par tous les médias américains et la population bostonienne. Il se rabiboche avec sa petite-amie (agréable Tatiana Maslany) mais aura bien du mal à gérer cette relation et à assumer son nouveau statut...




D'emblée, on sent David Gordon Green inspiré par son sujet, réellement intéressé par ses personnages, tous traités avec respect, quand bien même il s'agit d'une bonne femme alcoolo un brin casse-couille (la mère du malheureux). Dès les premières scènes, il filme Jeff Bauman avec attention, douceur. Heureuse surprise, Jake Gyllenhaal n'en fait pas des caisses et s'avère même très crédible dans un rôle qu'il semble avoir pris au sérieux. Une nomination à l'Oscar n'aurait guère été volée. Il joue ici un jeune adulte qui vit toujours chez sa mère, qui a vraisemblablement du mal à grandir, et que l'attentat va encore davantage affaiblir. Le cinéaste évite certains écueils très redoutés, sait faire preuve de cette pudeur essentielle pour ne pas agacer tout le monde, et signe finalement un mélo tout à fait honnête compte tenu des thèmes abordés, très chers au fameux "cinéma américain post 11-septembre". En réalité, le film de DGG profite beaucoup de cette comparaison. Au milieu de tous les drames intimistes merdeux, inspirés ou non d'histoires vraies, qu'a produit Hollywood et ses environs depuis plus de 10 ans, Stronger s'avère carrément recommandable. Et face aux énièmes variations du vieil Eastwood sur le thème du héros américain, il passe même pour un sommet d'intelligence et de finesse...




DGG met en scène des personnages plutôt attachants (la bande de potes de Bauman), auxquels nous n'avons aucun mal à croire, en proposant même quelques passages où l'humour est de mise et fonctionne assez bien (la beuverie qui se termine par un Jeff Bauman au volant d'une voiture avec son pote maniant tant bien que mal les pédales à la main). DGG ne tombe pas dans les clichés, il réussit par exemple à nous faire ressentir de l'empathie pour la mère du héros, personnage de loin le plus risqué et problématique du lot. Il désamorce des scènes que l'on redoute par avance (l'accrochage tant attendu entre la maman et la girlfriend venue vivre avec eux) et les réussit assez bien quand elles s'imposent enfin à lui (le flashback où l'on revit l'attentat, à l'efficacité indéniable et dénué d'effet superflu). Il s'avère plutôt habile quand il nous dépeint cette Amérique traumatisée et déboussolée par les attentats successifs, par la guerre en Irak et compagnie, désespérément en quête de héros et recroquevillée sur ses valeurs.




S'il en fait un peu trop dans la dernière partie et perd de vue cet équilibre sur lequel il tenait miraculeusement, DGG s'en tire tout de même avec les honneurs. L'objectif est accompli : on ressort du film soulagé d'avoir encore l'usage de nos deux guiboles. Me voilà donc réconcilié avec David Gordon Green au moment le plus opportun puisqu'il est actuellement en train de tourner la suite de l'un de mes films cultes, Halloween, de mon idole John Carpenter. Le rendez-vous est cette fois-ci bel et bien fixé. Comme toujours, je l'attendrai au tournant. 


Stronger de David Gordon Green avec Jake Gyllenhaal, Tatiana Maslany et Miranda Richardson (2018)

20 février 2018

Phantom Thread

Chaque nouveau film de Paul Thomas Anderson est attendu avec crainte, impatience et fébrilité dans les vastes bureaux de la rédaction d'Il a osé ! Enthousiasmé par There Will Be Blood, on sait tout le potentiel du cinéaste, mais l'on connaît que trop bien ses travers pour avoir vécu de terribles épreuves au cinéma en allant voir, le sourire aux lèvres et la fleur au fusil, The Master puis Inherent Vice, et en ressortant, à chaque fois, hagards et dévastés. Quel plaisir de découvrir que le réalisateur américain nous livre avec Phantom Thread son film le plus humble, le plus simple et le plus beau. Une histoire d'amour, tout simplement, entre deux personnages marquants, très forts, incarnés par un couple d'acteurs magnifiques : Daniel Day-Lewis et Vicky Krieps. Le premier est Reynolds Woodcock, un grand couturier londonien qui dessine les vêtements de la haute société d'après-guerre et tombe sous le charme d'Alma, une jeune femme qui deviendra sa muse. Avec une délicatesse étonnante et une intelligence rare, Paul Thomas Anderson nous propose de suivre l'évolution de cette romance bien particulière entre deux êtres qui vont progressivement apprendre à s'aimer malgré leurs différences.




Phantom Thread est une douce et agréable surprise permanente. Le film étonne tout le long par sa simplicité et sa clarté, pour ce qu'il choisit d'être et ce qu'il n'est pas. Le cinéma de Paul Thomas Anderson ne paraît ici à aucun moment parasité par une prétention débordante ou par un orgueil démesuré. Paradoxalement, le cinéaste signe peut-être son œuvre la plus subtile et ambitieuse puisque c'est la première fois qu'il s'intéresse de si près à une telle histoire d'amour et à deux personnages qu'il parvient si fort à faire exister. Cela ne tient évidemment pas qu'à eux, mais il est bien aidé en cela par deux acteurs merveilleux. Daniel Day-Lewis n'est plus à présenter, il démontre ici, pour ceux qui en douteraient encore, qu'il est effectivement l'un des plus grands et qu'il n'a pas volé les mille récompenses qui décorent son living room. Quant à Vicky Krieps, parfaite, il faut aussi saluer le choix judicieux de Paul Thomas Anderson, lui qui aurait sans doute pu faire appel à n'importe quelle vedette actuelle. La luxembourgeoise, qui illuminait déjà Le Jeune Karl Marx, dégage un naturel étonnant, elle parvient à exister, et bien plus encore, face à Daniel Day-Lewis, ce qui n'est sûrement pas donné à tout le monde. Ils forment tous deux un couple fascinant qui, à coup sûr, marquera durablement les esprits. A leurs côtés, un autre personnage remarquable, celui de la sœur du couturier, au rôle si important. Elle est jouée par un impeccable Jean-Michel Aulas, un choix osé qui nous pousse encore à saluer la science du casting et l'audace de PTA.




On peut aussi aimer le film pour ce qu'il n'est pas. Il n'est pas une lourde reconstitution historique du Londres des années 50. Paul Thomas Anderson nous plonge délicatement dans cette ambiance, sans effet forcé, sans appuyer le trait. Son histoire paraît même intemporelle. Il n'est pas non plus une fresque sur le monde de la mode, bien qu'il parvienne miraculeusement à nous y intéresser. Ce contexte est là pour créer une obsession à son personnage principal, minutieux, méticuleux, enfermé dans son travail, sa passion et son art. Il aurait pu être musicien ou que sais-je. Le choix de la mode est encore très bien vu de la part de PTA. Enfin, il n'est pas la description prévisible d'une relation amoureuse duale, en montagnes russes, entre un maître et sa disciple, un homme mûr et une jeune femme, un grand artiste bourgeois et une étrangère venue du peuple. PTA joue certes sur ce décalage, mais il le fait tout en finesse, parfois même avec un humour très plaisant (certains dialogues sont savoureux, notamment quelques joutes verbales entre les deux amants, tour à tour amusantes ou tendues). Cette façon qu'a le film d'éviter tous les clichés de ces schémas rebattus et d'y injecter de l'étrangeté et même de la folie (la fin est très déroutante) est vraiment réjouissante. Alors que les deux précédents (très) longs métrages de Paul Thomas Anderson avaient fini par nous ennuyer copieusement, celui-ci est passé à toute vitesse et nous nous y sommes sentis fichtrement bien.




Mais Phantom Thread est avant tout un film admirable pour ce qu'il est et ce qu'il nous raconte. Enveloppée dans la musique inspirée de Jonny Greenwood assez omniprésente mais guère pesante, qui colle totalement à l'histoire et à ce personnage obsessif que fait dévier de sa trajectoire toute tracée la jeune femme, la mise en scène de PTA est maîtrisée, précise et chiadée, très agréable à l’œil. Le réalisateur ne tombe jamais dans les excès, disant adieu à certains tics lourdingues que l'on retrouvait dans ses précédents films, il signe peut-être son œuvre la plus classique formellement, en osant toutefois quelques très belles choses ici ou là. Il parvient à nous émouvoir avec trois fois rien, tout particulièrement lors de cette scène de demande en mariage filmée en un lent travelling avant, se rapprochant d'un Daniel Day-Lewis revenu à la vie et d'une Vikcy Krieps sous le choc, qui savoure cet instant, le laissant durer avant de s'exprimer enfin. On espère revoir de tels moments de grâce au cinéma cette année, mais on se dit que ça n'est pas sûr étant donné le niveau ici atteint par PTA. Nous ressortons du film avec l'envie très rare de le revoir au plus vite, pour mieux nous y vautrer de nouveau, confortablement installé dans cette histoire, moins surpris par son déroulement mais plus attentif à chaque détails, délicieusement envoûté par la subtile mélodie de Paul Thomas Anderson. Ouf, nous sommes enfin en paix avec PTA !


Phantom Thread de Paul Thomas Anderson avec Daniel Day Lewis, Vicky Krieps et Lesley Manville (2018)

16 février 2018

L’Étrange créature du lac noir

Jack Arnold, dans les années 50, en pleine possession de ses moyens, contribua à donner ses lettres de noblesse au cinéma de genre en signant de son nom quelques uns des plus grands titres de la période. Quiconque rangerait ce Creature from the Black Lagoon dans les plaisirs coupables du cinéphile amateur de nanars ridicules et autres "séries Z" dont il est bon de se gausser, aurait tout faux. Certes, le titre, l'affiche (d'ailleurs très belle) ou le contexte laissent à penser que nous tenons là une petite merde. Mais loin s'en faut, puisque L'étrange créature du lac noir compte parmi les petits bijoux et les nobles réussites de la collection Universal Monsters. Le maquillage de la créature a de toute évidence un peu vieilli (peut-être moins cependant que beaucoup d'effets spéciaux numériques sur fond vert...), mais se focaliser là-dessus pour ricaner serait passer à côté d'un bien beau film.





Rappelons un peu de quoi il s'agit. On pourrait s'attendre à un pré-sous-Jaws, avec une créature sous-marine redoutable au centre d'un film rythmé par des scènes de trouille nous la montrant éliminer un à un les membres du casting. Sauf que le script de Jack Arnold est un peu plus malin que ça. On y suit une bande de scientifiques inspectant un lac à la recherche d'une créature millénaire, forcément un peu étrange (d'où le titre). Quand ladite bestiole, à qui il ne manque que la parole, et à la rigueur un petit relooking, voit apparaître, dans ces eaux saumâtres qu'elle habite seule depuis des centaines d'années, une bombe atomique en la personne de Julia Adams, son sang froid ne fait qu'un tour dans son slip.





Le film aurait donc pu tomber dans le graveleux, le racolage, le voyeurisme, l'érotisme de bas étage, écueil que Jack Arnold évite haut la main, en nous livrant une variation sur La Belle et la bête ponctuée de scènes sublimes : ces fameuses séquences de baignade, ou devrions-nous dire, de danse aquatique, puisque c'est à un véritable ballet sous-marin que nous convie un Jack Arnold plein de poésie et touché par la grâce. La 3D, nouveau jouet de l'époque, a peut-être contribué à inspirer à Jack Arnold ces scènes, mais elles ne perdent rien de leur beauté sans cet artifice. Les longues jambes de Julia Adams ondulent quelques centimètres au-dessus des plantes marines et des bras palmés aux mouvements envoûtants, inquiétants mais contrôlés, de l'étrange Gill-Man, l'inoubliable monstre, dans un lente chorégraphie de fascination amoureuse.




Au fond, dans sa simplicité, la créature est encore le personnage le plus touchant d'un film où les personnages masculins, eux aussi obnubilés par la seule femme à bord, se livrent à un combat de coqs ridicule et néfaste. Billy Wilder se souviendra de ce film au moment de tourner Sept ans de réflexion, comédie grinçante épinglant l'américain mâle blanc dominant, incarné par Tom Ewell. Le personnage principal, nommé Richard Sherman, n'avait qu'une idée en tête : tromper sa femme avec la première venue, qui s'avérait n'être autre que l'irrésistible Marilyn Monroe. Celle-ci n'avait alors de cesse de citer, en criant, le titre du film de Jack Arnold, Creature from the Black Lagoon, tout en résistant aux assauts de son voisin du dessous très concupiscent. Dans un New York caniculaire, les deux étages de l'immeuble servant de décor à la comédie de Wilder, l'un occupé par l'homme marié désœuvré, l'autre par la divine blonde, étaient reliés par un escalier sans issue, rappelant les deux mondes séparés du film de Jack Arnold, celui des profondeurs, abritant la menace, et la surface. Malheureusement, Gill-Man, la bête aquatique de L'étrange créature du lac noir, comme son futur homologue des villes, finit par craquer, et embarque la belle dans son antre - image d’Épinal digne de celle tournée par Cocteau dans son adaptation du conte de Mme Leprince de Beaumont. On sent alors le monstre mu par la volonté de renouer avec un amour perdu, cette autre créature dont les scientifiques trouvaient un membre fossilisé au début du film. Jack Arnold parvient ainsi à titiller notre imagination et à nous faire projeter sur sa créature des sentiments qui lui donnent une autre dimension.





Le film a souffert, comme quelques autres du même genre, d'abord de sa modestie, prise à tort pour un manque d'ambition, ensuite de son emballage, nous l'avons dit, mais peut-être aussi de cette suite, mise en boîte un an plus tard par le même Jack Arnold. Nous ne l'avons pas vue mais nous ne savons que trop combien d'autres monstres ont pâti de tirer sur la corde et de se voir inventer tour à tour un fils, un cousin, un neveu, un filleul ou un gendre peu recommandables. Mais le pire coup bas contre ce film reste l'attitude et les choix du Gill-Man après 1954, qui surfa sur la popularité du film pour se constituer un petit pactole en étant d'abord l'effigie d'une marque de sardines bas de gamme, puis en traînant ses palmes sur les plateaux télé pour raconter ses frasques ou en devenant l'égérie par intérim de MacDonald, avant qu'un Ronald plus familial et accueillant ne prenne le relai. La légende raconte qu'on peut apercevoir le Gill-Man dans certaines venelles de Los Angeles, jouant du Gershwin en soufflant dans une conque et recueillant de sa dernière palme valide quelques pounds qui lui permettent de s'acheter des boîtes de câpres entre deux numéros au Marineland local. La triste fin du petit enfant huître...


L'étrange créature du lac noir de Jack Arnold avec Julia Adams, le Gill-Man, Richard Carlson et Richard Denning (1954)

13 février 2018

The Ritual

The Ritual est le premier long métrage du cinéaste britannique David Bruckner qui avait jusqu'alors signé quelques courts ainsi que certains segments de films à sketchs tels que V/H/S et The Signal. Distribué par Netflix et accompagné d'échos plutôt positifs, cette adaptation d'un livre d'Adam Nevill pouvait constituer une sorte de salut nécessaire pour la plateforme de streaming juste après la débâcle The Cloverfield Paradox. Force est de constater que The Ritual s'impose en effet d'emblée comme un film d'horreur sérieux, qui respecte son audience et propose un spectacle assez haletant, nous rappelant au bon souvenir de la vague horrifique britannique des années 2000. On y suit une bande de gars partis pour quelques jours de randonnée dans les forêts suédoises, afin d'honorer la mémoire d'un ami, tué arbitrairement lors du braquage d'une supérette (la première scène, efficace). Parmi eux, Luke est encore hanté par la mort de son pote, à laquelle il a assisté, caché, sans oser intervenir, par peur d'y laisser aussi la vie. Ce contexte est propice aux tensions, d'abord sous-jacentes, entre les membres du groupe et, quand celles-ci éclateront, elles s'ajouteront à une menace extérieure, invisible et inexplicable, qui semble hanter la forêt...





David Bruckner arrive plutôt facilement à installer une ambiance intrigante. Il plante le décor rapidement et nous propose de suivre des personnages qui, sans être très épais, évitent les stéréotypes. Il est aidé en cela par des acteurs solides et crédibles, et je pense ici tout particulièrement à Rafe Spall, dans le rôle de Luke, dont on sent qu'il est encore écrasé par son sentiment de culpabilité et que celui-ci parasite tous ses rapports avec les autres. Hélas, s'il s'agit d'une bobine horrifique appliquée et plutôt recommandable, The Ritual pêche cruellement par manque d'originalité. Le schéma que son scénario respecte, avec le trauma inaugural du personnage principal puis sa délivrance dans l'épreuve qu'il traverse, est très rebattu. On pense aussi à bien des films, notamment The Blair Witch Project ou The Descent, sans que l'œuvre du jeune David Bruckner ne parvienne à réellement s'affirmer au milieu de ces si nombreuses références. Bien qu'un peu trop attendu dans son déroulement et n'évitant pas certains poncifs du "film-où-un-groupe-se-paume-dans-les-bois", The Ritual parvient malgré tout à entretenir notre curiosité jusqu'au bout.





On se demande en effet pendant longtemps quelle orientation va choisir le scénario, s'il va opter pour le surnaturel, quitte à prendre un risque, ou une explication plus psychologique, alternative facile et redoutée. Attention au spoiler : c'est finalement vers l'horreur sectaire et purement fantastique que s'engage David Bruckner, pour notre plus grand plaisir et avec un certain succès. Quand se montre enfin la fameuse créature régnant dans la forêt suédoise, nous sommes agréablement surpris par son apparence, très soignée et loin des clichés ; il s'agit d'ailleurs davantage d'une divinité que d'un simple monstre. S'il n'est malheureusement pas l'excellent film d'horreur espéré, The Ritual confirme toutefois que Netflix peut gagner en crédibilité et jouer un rôle intéressant pour améliorer la visibilité d’œuvres et de cinéastes qui méritent effectivement de toucher une plus large audience. 


The Ritual de David Bruckner avec Rafe Spall, Arsher Ali, Sam Troughton et Robert James-Collier (2018)

10 février 2018

The Cloverfield Paradox

Netflix a cru nous faire une jolie surprise en sortant le nouveau film de la saga Cloverfield quelques heures seulement après avoir diffusé sa première bande-annonce lors du Super Bowl. Il y avait en effet de bonnes raisons de frétiller d'impatience et de regarder en vitesse ce nouvel épisode qui fait suite à deux films plutôt intéressants qui exploraient chacun de manière assez originale des genres différents, en s'inscrivant dans un même univers, dévoilé peu à peu. Cloverfield premier du nom est l'un des rares found footage à être réellement efficace, il constituait un film catastrophe assez bas du front mais, pour les amateurs, une expérience qui valait la peine d'être vécue. 10 Cloverfield Lane était quant à lui un thriller en huis clos magnifié par son actrice principale et une conclusion ma foi très réussie. Qu'allait donc nous réserver la suite ?




A y regarder de plus près, si nous étions dénués de tout a priori négatifs, on pouvait tout de même nourrir quelques doutes... A la réalisation de The Cloverfield Paradox, un inconnu nommé Julius Onah qui, après quelques recherches menées sur internet, s'avère être un jeune cinéaste au statut envié puisque régulièrement cité dans d'obscures listes recensant les metteurs en scène américains à suivre et sur le point d'exploser. A l'écriture, Oren Uziel, qui travaille sur une histoire initialement intitulée God Particles depuis des années mais dont on ne sait rien d'autre. Et à la production, fidèle au poste, JJ Abrams, dont on pourrait penser qu'il est le vrai cerveau de l'entreprise. Or, force est de constater, après quelques minutes de film seulement, que de cerveau, il n'y en a pas !




Le triste JJ Abrams a simplement dû signer le chèque permettant la mise en branle de cet abject projet et, par la même occasion, l'arrêt de mort de la saga. Dénué de la moindre imagination et nous proposant une mise en scène exécrable digne d'un très mauvais téléfilm, Julius Onah a effectivement explosé et perdu illico son statut de jeune réalisateur under the rader pour gagner les rangs trop bien garnis des purs zonards à éviter absolument. Quant au scénariste, dont la place est en détention provisoire ou en hôpital psychiatrique, il serait le premier à être poussé vers l'échafaud tant son script infâme dégage une odeur de pet dégueulasse.




Essayons de faire bref : nous sommes donc dans un futur indéterminé et la Terre, en proie à une crise énergétique sans précédent, est dans une merde noire, au bord d'un conflit mondial qui pourrait acter la fin de l'humanité. Pour sauver la situation, des scientifiques et des techniciens issus des pays les plus influents du moment (Russie, Allemagne, Grande-Bretagne, USA, Chine, Brésil et... Irlande) sont envoyés en mission sur une station spatiale en orbite autour de la planète bleue afin de créer une source d'énergie inépuisable à l'aide d'un accélérateur de particules géant. Malgré les mises en garde d'un illuminé assurant que l'utilisation de l'accélérateur pourrait engendrer des catastrophes spatio-temporelles inédites et irréversibles, tout ce petit monde s'active pour réussir enfin le lancement de la machine. C'est alors qu'une surcharge se produit suite à laquelle les scientifiques découvrent avec stupeur que la Terre a tout bonnement disparu des radars. D'autres événements étranges vont alors se produire au sein de la station, mettant en danger l'ensemble de l'équipage.




Ce n'est pas pour m'envoyer des fleurs, mais sachez que je raconte beaucoup mieux que Julius Onah et son scénariste dont l'horrible rejeton, d'une laideur et d'une bêtise étonnantes, est un supplice du début à la fin. D'emblée, on essaie de nous intéresser à des personnages qui n'existent à aucun moment, d'infects clichés ambulants. On s'amusera de la perfidie du Russe, forcément le plus infréquentable de la bande. On pleurera aux répliques supposées être humoristiques de l'irlandais incarné par le très pénible Chris O'Dowd, notamment quand toute la fine équipe se rend compte que la Terre a disparu (ce qui donne des dialogues épouvantables et grotesques comme "La Terre ne peut pas disparaître aussi facilement...", "Je t'assure, j'ai vérifié deux fois, je ne la retrouve plus", "T'as bien cherché partout, t'es sûr ?", "La Terre a juste putain de disparu !" ; il faut vraiment entendre tout ça pour y croire). On sera rapidement fatigué par les péripéties de plus en plus débiles auxquelles doivent faire face les membres de l'équipage. Devant ce vaste n'importe quoi, on se demande même s'il ne s'agit pas là d'un film ouvertement comique, d'une sorte de parodie, d'un délire entre potes, d'une blague qui a mal tourné ou que sais-je.




Le scénario est si idiot et prévisible dans sa bêtise qu'il annihile tout espèce d'intérêt que l'on pouvait avoir pour la franchise Cloverfield, et celle-ci aura bien du mal à s'en relever. Des univers parallèles sont ainsi sordidement mêlés par l'arrogance humaine, l'humanité faisant appel à une technologie qu'elle ne maîtrise pas pour sortir d'une impasse vers laquelle elle a foncé tête baissée, pour se dépêtrer d'une situation qu'elle a elle-même provoquée. Mais, là encore, je vais bien trop loin, le film ne développe aucun discours, aussi basique soit-il, ressemblant à ça, il ne propose aucune de ces critiques et mises en garde traditionnellement véhiculées par les récits de science fiction. C'est cette faille créée entre des univers parallèles qui aura donc notamment entraîné l'apparition d'une bestiole immense défonçant tout sur son passage. Avant de déclencher l'ultime essai de l’accélérateur de particules, l'un des tocards de la station prévient pourtant tout le monde dans un éclair de lucidité, il lève le doigt poliment et déclare "Au fait, vous savez que si l'accélérateur de particules dysfonctionne, on peut peut-être ouvrir une faille entre des dimensions parallèles, et faire venir des créatures, des monstres venus d'ailleurs ? Ouf non ? J'dis ça j'dis rien !".




En réalité, on tient là une sorte de croisement bâtard entre des films qui étaient déjà eux-mêmes de sacrées merdes. On pense ainsi aux derniers immondices impardonnables de Ridley Scott, Prometheus et Alien Covenant, pour cette façon de dynamiter un univers, qui jusque là se tenait bien et cultivait intelligemment un certain mystère, par des révélations misérables dont tout le monde se serait bien passé. On pense également à des trucs médiocres mais beaucoup moins offensants tels que le récent Life : Origine, qui avait pour lui le mérite de se prendre pour ce qu'il était, à savoir un simple et bête film de monstre à l'ancienne, et guère autre chose. Tout est à jeter dans The Cloverfield Paradox. En plus d'être con, c'est désagréable à la vue, avec entre autres ses plans obliques ignobles, incapables de générer la moindre tension, et cette station dont on n'arrive même pas à comprendre la géographie. 10 Cloverfield Lane était un huis clos et parvenait grosso modo à nous le faire ressentir, à nous transmettre une impression d'enfermement, une certaine tension. Cette suite n'y parvient pas une seconde et n'est qu'un enchaînement de conneries terribles.




Nous suivons, en parallèle, les mésaventures du petit-ami de la britannique, resté sur Terre et confronté aux conséquences du dérèglement global. Une partie dont on a appris de la bouche d'un JJ Abrams honteux qu'elle avait été tournée après coup, pour sauver l'ensemble. C'est effectivement moins abominable à suivre que ce qui se déroule dans la station spatiale, mais c'est tout de même inintéressant au possible. Tout est à jeter je vous dis. Ils auraient bien mieux fait de réaliser un prolongement direct à 10 Cloverfield Lane, en nous proposant tout simplement de voir Mary Elizabeth Winstead, dans sa combinaison de fortune, affronter les aliens et essayer de survivre dans un monde apocalyptique. Il n'en faut pas plus pour faire un bon film de genre ! On aurait maté ça avec bien plus de plaisir...




Comme trop souvent hélas, les plus malins dans cette histoire étaient sans doute ceux qui ont orchestré la campagne marketing, tout simplement basée sur l'entretien du mystère par le silence et l'effet de surprise final avec l'arrivée soudaine du film. Cela a en effet permis à cette gigantesque daube de bénéficier d'un buzz retentissant sur les réseaux sociaux et d'être certainement vue par bien des curieux. Une fois que les premiers l'avaient subie, ce buzz s'est aussitôt transformé en "bad buzz" puisque le film s'est fait descendre de toutes parts. Ce lynchage en bonne et due forme était tout à fait mérité. Les quelques défenseurs du produit, parmi lesquels des maniaques passionnés et des fous dangereux, échafaudant des théories reliant les trois films sur des forums à éviter, existent bel et bien mais ils doivent se sentir très seuls. Pour eux aussi, la Terre a disparu. The Cloverfield Paradox anéantit tout ce que la triste bande menée par JJ Abrams a essayé de faire et envisageait de faire. Pire encore, cela fait même relativiser les très minces qualités des deux premiers épisodes qui étaient déjà bien peu de chose. Une sacrée arnaque. 


The Cloverfield Paradox de Julius Onah avec une bande de tocards terrible (2018)

8 février 2018

Colombiana

Une merde de chien avec un cancer du colon a un meilleur aspect que ce ruban de pellicule... En réalisant ce film, Olvier Megaton (?) s'est délesté d'un gros colombi(a)n(a). On sait tous très bien qu'Olivier Mégaton n'est que le pseudonyme de celui qui est derrière ce désastre volontaire. Cet homme doté d'un surpoids dont il n'arrive pas à se débarrasser, d'une beubar d'une semaine pour se sentir plus viril, et surtout d'un talent aux oubliettes depuis belle lurette. Je trouve ça toujours étonnant que des "star hollywoodiennes" (j'utilise des guillemets parce qu'avec l'actrice na'vi Zoé Saldana on galvaude le terme) viennent se livrer pieds et poings liés au cœur d'un massacre toujours orchestré de main de maître par Luc Besson, sous couvert d'un pseudo. "Vengeance is beautiful" ? Nawak...


Colombiana d'Olivier Megaton avec Zoe Saldana et Amanda Stenberg (2011)