Pages

30 septembre 2015

Lost River

C'est avec beaucoup d'appréhension que nous nous lancions dans ce Lost River, premier long métrage très attendu de l'acteur et sex symbol Ryan Gosling. Les premiers échos cannois nous avaient fait redouter un pénible essai autocentré, s'aventurant sur les rives d'une expérimentation de façade pour en réalité se noyer sous une masse de références trop évidentes et terriblement prévisibles. Certains articles rédigés par des fans amoureux, entièrement acquis à la cause de l'acteur-réalisateur, avaient amplifié notre méfiance. Quelle ne fut pas notre surprise de découvrir le film d'un auteur certes sous influence mais à la personnalité intéressante et déjà bien affirmée, méritant amplement le détour.




Lost River est un film fragile qui dégage une forte odeur de cinéma. Dès les premières images, et même dès le générique (un peu longuet), une vraie envie de cinéma suinte littéralement de l'écran. Ryan Gosling utilise son enviable popularité auprès des jeunes filles et sa si grande notoriété pour mettre en garde contre les dérives d'un système qui fait fi des laissés pour compte et des marginaux. Le beau gosse se mue alors en cinéaste engagé, prenant courageusement pour décor la ville désaffectée de Détroit, dont il filme les dessous sans pudeur tout en nous faisant admirer sa technique. Parfois, Gosling semble ne plus maîtriser son art, comme si la recherche de son inconscient dévoilait des horizons inconnus, qu'il ne peut lui même expliquer : une caractéristique chère aux plus grands. On repense à cette réponse sans équivoque de Hitchcock à Truffaut tirée du fameux Hitchcock/Truffaut : "Cette scène ? Aucune idée de comment ça m'est venu, désolé..." Travelling bilatéraux en contre-champ et double contre plongée... Effets de manche inattendus et plans américains qui n'ont rien à envier à ceux, très européens, des cinéastes actuels (suivez notre regard...). Il y aurait aussi toute une thèse à écrire sur le rôle du hors champ et des jeux de reflets dans les débuts derrière la caméra du beau Ryan. On est plutôt sur le cul face à cet abécédaire revisité du cinématographe de poche.




Dans une ambiance lynchéenne à souhait, Ryan Gosling casse les règles pour mieux en dicter de nouvelles. Son récit, très éparpillé, parvient néanmoins à nous captiver. Certains passages, que l'on devine autobiographiques, réussissent à retranscrire une certaine vérité du mal être adulescent. Dans son rôle de mère courage, Christina Hendricks étonne et s'impose comme une image moderne d'un féminisme très actuel qui ne dit pas son nom. Le réalisateur parvient à être touchant sans pour autant céder aux violons insupportables, sans jamais sombrer dans le pathos. La "lost river" du titre n'était-elle pas ce filet de larme qui coulait sur nos joues pendant la projection ?




Aspect guère étonnant quand on connaît également la carrière musicale de l'acteur-réalisateur surdoué : la bande son de Lost River est extrêmement travaillée. Une musique planante tout droit sortie de la scène underground new-yorkaise, où l'électronique et l'acoustique se disputent la vedette, vient sublimer de vrais moments de cinéma. Sans difficulté, on ressent l'influence électronique de Trent Reznor et de l'école de Düsseldorf ; influences mêlées à la musique tzigane dans laquelle notre cinéaste a grandi et dont il a su s’empreigner sans perdre son identité (au contraire d'un Johnny Depp). Le film caresse les yeux en plus de nous chatouiller les oreilles. Les plus jeunes, à l'ouïe plus fine, ont dû apprécier.




En équilibre, Ryan Gosling accomplit un grand écart épatant : il endosse en toute humilité le rôle du maître du temple tout en adoptant une position avant-gardiste. Il s'impose comme la figure de proue d'une nouvelle génération à suivre de près et qui saura redonner un nouveau souffle au cinéma américain. Et il le fait avec cette modestie délicate qui le caractérise depuis toujours. Au contraire de l'ultra-référencé Quentin Tarantino, Ryan Gosling distille sa connaissance encyclopédique du 7ème art par petites touches et sans lourdeur, invoquant tour à tour Murnau, Scorsese, Godard, Reed, Méliès, Kurosawa... Malgré cela, le film dégage une maturité impressionnante.




Sachant que son image de sex symbol lui collerait à la peau, il signe un film autodestructeur et véritablement modeste, comme s'il ne voulait pas entrer dans la cour des grands qu'il tutoie pourtant sur quelques scènes, quitte à tirer une balle dans son propre pied. Lost River est à l'évidence le premier titre d'une filmographie qui nous réservera bien des surprises et dont on a hâte de connaître le prochain tournant. Du cinéma en voie d'extinction.


Lost River de Ryan Gosling avec Christina Hendricks, Saoirse Ronan et Eva Mendes (2015)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire