Pages

22 novembre 2013

Reservation Road

Dans ce film, Joaquin Phoenix, cet éternel écorché vif, a tout pour lui. Une jolie femme qui va bien (Jennifer Connelly). Deux gosses pas chiants (Elle Fanning et Sean Curley). Un petit boulot sympa (avocat). Une bagnole comme il faut (4x4 Land Rover). Une petite bicoque sans prétention dans un bled pas moche des States (Stamford, Connecticut). Bref, cet acteur d'ordinaire condamné à jouer les mecs mal dans leurs peaux et foutus pour la vie jouit ici d'une situation fort enviable. Au début du film, en tout cas, car les choses se gâtent rapidement... Après avoir assisté au récital à la clarinette du petit dernier, la petite famille au grand complet s'arrête dans une station essence pour faire le plein. Joaquin Phoenix ne peut pas compter sur Jennifer Connely, endormie à l'avant, pour surveiller les deux gamins, intenables. Joaquin Phoenix prévient donc ses gosses : "Sortez pas, c'est pas un coin sûr. Cette station Esso est très curieusement située en plein virage, alors déconnez pas et n'essayez pas de traverser la route. Restez dans la bagnole, restez dans la bagnole. N'importe quel connard peut débouler et vous faucher d'une pierre deux coups". Plus soumise à l'autorité de son jeune père, la sœur aînée ne détache même pas sa ceinture de sécurité et reste tanquée sur son siège. Son petit frère, attiré par un papillon voletant à l'extérieur du véhicule, n'en fait qu'à sa tête et s'en va promener sur la chaussée à l'instant même où son paternel entre dans la station pour payer son dû au prix fort. C'est là que le film bascule dans l'horreur absolue. Déboulant à toute berzingue, un hummer fou conduit par Mark Buffalo rentre de plein fouet dans l'apprenti joueur de clarinette. Coup du lapin, mort instantanée. Le film a basculé et Joaquin Phoenix a retrouvé ce rôle d'écorché vif qui lui colle tant à la peau. A la différence du comique Jamel Debbouze, son gosse ne perd pas que l'usage de son bras, il y laisse sa vie ! De son côté, Mark Ruffalo pratique le hit & run, c'est à dire qu'il fout le camp aussi sec, après avoir constaté les dégâts d'un rapide coup d’œil dans son rétro.




En plus de se focaliser sur la détresse des parents du gosse écrasé, le film nous propose de suivre le morne quotidien de Mark Ruffalo, rapidement rongé par le doute et la culpabilité. A-t-il bien fait d'écraser un gosse ? Aurait-il dû s'arrêter pour tenter le bouche-à-bouche et sauver les apparences ? Était-ce vraiment une bonne idée de s'allumer un gros cigarillo en plein virage ? Cette cassette de U2 diffusant Whit or Whitout You méritait-elle vraiment d'être retournée pour que la chanson se poursuive ? Ne devrait-il pas regretter d'avoir fait l'impasse sur l'option "lecteur cd multifonctions" pour se payer un hummer dernier cri ? Les premières minutes du Canal Football Club valaient-elles vraiment la peine de rouler à une si vive allure ? Autant de questions hantant littéralement l'esprit torturé d'un Mark Ruffalo déjà bien embêté par ses problèmes conjugaux. Nous découvrons en effet que sa vie n'est pas un conte de fée. Fraîchement divorcé, Ruffalo est en pleine bataille judiciaire pour conserver la garde de son fils avec lequel il ne partage pourtant qu'une seule chose : une passion sans limite pour le baseball et les pizzas de marque "Hut". Entre deux scènes directement issues de Kramer contre Kramer, nous suivons le personnage incarné par Ruffalo dans son cheminement personnel, entre deux parts de pizza croquées devant la télé, une réflexion qui le mènera progressivement vers l'acceptation de sa situation, vers le mieux-vivre et, plus exactement, vers ce stade psychique que les experts en psychologie ont nommé le "laisser-pisser". Ses rapports avec son fils s'améliorent considérablement à partir du moment où ils se découvrent une nouvelle passion commune pour le jeu vidéo GTA.




Parallèlement, nous suivons donc la famille de Joaquin Phoenix. Aucun problème de deuil en ce qui concerne Jennifer Connelly qui fait ses nuits et qui, quelques jours après le décès de son rejeton, pense à revendre sa clarinette sur leboncoin, en tout bien tout honneur, et s'en tire même à un bon prix. Elle ira d'ailleurs jusqu'à lancer avec plein d'enthousiasme à un Joaquin Phoenix abattu : "Hé, 70 billets la clarinette, 70 biftons ! Pour un bout de bois à 6 trous ! Compte, ça fait plus de 10 boules le trou ! Heureusement qu'il ne l'avait pas sur lui lors de l'incident...". De son côté, Phoenix vit très mal la disparition de son enfant. Devenu insomniaque, il passe ses nuits sur le net à écumer google avec comme mots clés "que faire hit and run" et "pio marmaï nu". Ces mots le menant vers quelques bons jeux flashs et de chouettes blogs ciné, il perd beaucoup de temps, mais parvient tout de même à apprendre comment retrouver quelqu'un à partir de sa plaque d'immatriculation (chose bien pratique puisque celle du coupable est partiellement gravée sur le front du gosse). Désarçonnée par le comportement de son époux de plus en plus asocial, Connelly ne manque jamais une occasion de lui dire "Lâche un peu le net, ça va t'abîmer les mirettes. Et pense au moins à foutre la table. C'est désagréable, quand je rentre le soir, après m'être tapé une journée de folie, de voir que la table n'est même pas foutue. Même pas foutu de foutre la table !".




Le film prend une tournure encore plus machiavélique et schizophrène quand Joaquin Phoenix, alors en pleine investigation pour découvrir l'identité du meurtrier de son fils, devient nul autre que l'avocat de Mark Ruffalo himself dans son affaire de divorce ! On nage alors en plein délire, dans un horror flick aux accents freudiens. Je vous avoue hélas que j'ai vu le film en VF et j'accuse les traducteurs d'avoir bâclé le boulot et de m'avoir tout particulièrement gâché la fin du film. J'en veux pour preuve ce dialogue assez moyen lors du face-à-face pourtant très attendu entre Mark Ruffalo et Joaquin Phoenix, survenant tout juste après que celui-ci ait décelé l'énigme du hit & run. Mark Ruffalo a alors retrouvé la paix avec lui-même, tandis que Joaquin Phoenix est plus bouillonnant que jamais. Ils s'échangent alors, et je cite la VF :
"Alors comme ça c'est toi qui as dégommé mon fils en bagnole...
- Je te promets que j'ai pas fait exprès, répond Ruffalo, la main droite posée sur la hanche gauche. Je te le jure !
- Mais t'es malade ou quoi ? dégueule aussi sec Joaquin, survolté, et sortant un revolver de sa poche arrière. Tu crois que cette excuse va me suffire ? Tu casses, tu payes, tu ne peux pas battre Sébulba , il est trop fort !
- Mais qu'eeeeest-ce que tu racontes ? Qu'eeeest-ce que tu racontes ? rétorque Ruffalo, tout déboussolé. Ça t'est jamais arrivé de heurter un chevreuil en bagnole ?
- Si... dit Joaquin, hésitant.
- Bah là le chevreuil, pas de bol, c'était ton fils. Qu'est-ce que j'y peux ? déballe alors Ruffalo, droit dans ses bottes.
- Je suis avocat de métier et tu ne m'embobineras pas de cette façon, répond Joaquin en reprenant progressivement ses esprits. Mon fils est mort sur le coup et toi... et toi... tu as fui comme le dernier des lâches !




- T'y vas un peu fort..., répond calmement Ruffalo, sûr de lui. Je te refais la scène : je suis tranquille en bagnole, un clope au bec. Il va s'éteindre, hop je me baisse pour saisir l'allume-cigare. Je me relève, et là je découvre, en plein virage, ton gosse qui fonce droit sur mon pare-choc. Bien sûr, j'allais pas l'éviter et foncer vers le précipice. Pas fou ! J'avais une nanoseconde pour faire un choix. J'ai choisi de sauver ma peau et de m'empéguer ton fils, en espérant que ça le fasse et qu'il s'en tire indemne. Ensuite, j'ai tracé. Logique, je ne voulais pas louper le CFC.
- Ta reconstitution des faits ne te grandit pas, et ce franc-parler insupportable... Enflure de mec ! lance alors Joaquin Phoenix en serrant les poings.
- Écoute, vas-y un peu mollo avec les insultes et décolle ton arme de ma carotide, veux-tu ? Tu remarqueras que de mon côté mon langage est des plus châtiés. Alors, cause-moi mieux que ça. Me buter ne ramènera pas ton fils à la vie."
Le dialogue se poursuit sur sa lancée et je dois dire qu'il m'a un peu surpris, d'autant plus qu'on a clairement l'impression que les mots français ne collent pas aux mouvements de bouches ni à la gestuelle des comédiens. Après une heure et demi de film de haute volée, cette conclusion mollassonne m'a considérablement déçu. J'ai donc sauvé ma soirée en me préparant un bol de chocapics. Les chocapics, quand ça fait longtemps qu'on en a pas mangé... y'a que ça de vrai.


Reservation Road de Terry George avec Joaquin Phoenix, Mark Ruffalo et Jennifer Connelly (2007)

12 commentaires:

  1. Les lignes de dialogue en VF où Jennifer Connelly fait référence à la mort de son fils via le mot "incident" et où Mark Ruffalo dit avoir fracassé le môme en "espérant que ça le fasse" ne me donnent pas du tout envie de voir ce film ! Par contre ça me donne déjà envie de relire cette putain de critique :D

    RépondreSupprimer
  2. Thomas d'Aubagne22 novembre, 2013 11:20

    Ce film a été pour moi comme un électrochoc lorsque je l'ai vu. Après l'avoir vu, j'ai pris mon SUV et j'ai foncé tout droit en attendant la nuit et la pluie (ce qui est simple car je suis domicilié en Normandie) pour tenter de faucher un être vivant afin de constater à quel point Mark Ruffalo est éblouissant dans son rôle de coupable rongé par le remord. J'ai aussi voulu me mettre dans la peau de Joaquin Phoenix, et pour ce faire, je suis souvent allé me balader avec mon gosse et mon ratier au bord des routes nationales et autres autoroutes tout en jouant des coudes avec mes deux compagnons de balade. Ça n'a malheureusement pas marché, et pour ça je mets en cause en premier la droite qui, avec sa politique ultra répressive de la sécurité routière, a rendu les conducteur beaucoup plus timorés qu'avant. Ensuite je rejette la faute à part égale aux technologies embarquées dans ces satanés véhicules (ESP, ABS, caméra infrarouge et thermique à l'avant et à l'arrière et j'en passe) et aux progrés de la médecine et au zèle des équipes de secouristes (mon ratier boite bas depuis que j'ai réussi à lui faire avoir une rencontre frontale avec un BMW X5 mais il est toujours vaillant et dépourvu de rancune). C'est dommage car mon appréciation globale de ce film, que je considère comme un chef d'oeuvre loin devant Mad Max Fury Road et Macadam à deux Voies (à mon sens les deux films qui se rapprochent le plus thématiquement de Reservation Road), en reste tronquée et je ressens un léger malaise à ne pas pouvoir me mettre dans la peau du père (ou au pire du maitre) en deuil. Je compte jouer mon va-tout prochainement, mon voyage de la dernière chance, en allant directement aux Etats-Unis avec mon gosse et mon ratier puisqu'il semble que là-bas il est encore possible de rencontrer des chauffards inconscients dotés de véhicules surdimensionnés. Je pense que je vais aller y jouer des coudes avec mon fiston et des pieds avec mon ratier! Encore faut-il que la douane américaine m'autorise à amener Frank Leboeuf (c'est le nom de mon ratier) dans leur pays. J'ai du mal à me procurer le formulaire ESTA pour lui. Au pire j'irai qu'avec mon fils même si je sais que je divise par trois mes chances de succès lors de ce voyage à couteaux tirés...
    En tout cas je vous tient au courant de tout ça. Je vous lis souvent et vous avez encore grimpé dans mon estime en publiant cet article qui rend si bien hommage à mon film de chevet.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. :D
      Écris plutôt des articles, Poulpeux !

      Supprimer
    2. Thomas d'Aubagne27 novembre, 2013 19:48

      Les amis! J'ai eu le visa pour les USA pour mon fils et pour Frank Leboeuf! On prend l'avion le 26 décembre direction le Montana! J'ai choisi le Montana parce que c'est là qu'il y a la plus grande concentration de 4x4 ("trucks" aux USA) et d'alcooliques aux States! Je sens que je vais faire des balades en famille au bords des freeways et highways du Montana. Bien sûr la date du 26 décembre a été choisie à dessein! Gel, neige et blizzard sont les trois termes les plus prononcés dans le Montana à cette époque de l'année. Et bien sûr ces périodes de fêtes de fin d'année sont synonymes de consommations d'alcool excessives et de retour à la maison dans un état second avec les yeux d'un lapin myxomatosé!
      Je commence déjà à préparer mes valises, je mets plein de baballes rebondissantes pour mon ratier, des frisbies pour mon fils et des Cruesli pour moi!
      Je vous tiens au courant!

      Supprimer
  3. Jean-Michel Questioncon22 novembre, 2013 11:40

    Peut-on appliquer à ce film le fameux proverbe sur le battement d'aile du papillon?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Un peu oui. Ça et "le monde est putain de petit".

      Supprimer
    2. Jean-Michel Questioncon22 novembre, 2013 11:52

      C;'est aussi, sans vouloir spoiler, un hommage au film "Mon Voisin le Tueur".

      Supprimer
  4. Bonjour,
    Avez-vous noté sur l'affiche du film cette ligne sous le titre du film "Par le directeur de l'Hôtel Rwanda"?
    Il est facile de se rendre compte de toute la médiocrité d'un tel projet et de prévoir qu'il va foncer droit dans le mur si on confie ça à un directeur d'hôtel et pas à un réalisateur chevronné. C'est des choses qui me dépassent ça.

    RépondreSupprimer
  5. Les bras m'en tombent!

    RépondreSupprimer
  6. Rien à foutre de ce film mais putain la critique m'a foutu la gaule ! La gôle ! La gnole ! J'ai bandé ma race !

    RépondreSupprimer
  7. Facile dans le top 10 des articles les plus cons/bons du blog. :-)

    RépondreSupprimer