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2 avril 2013

Paradis perdu

Au début de Paradis perdu, on craint d'être parti pour endurer un énième premier film d'auteur dont la réalisatrice viendrait à peine de sortir d'une école de cinéma section "scénario" (Ève Deboise sort effectivement de la Fémis) et aurait décidé de concrétiser son projet de fin d'étude pour nous raconter l'histoire sans doute plus ou moins autobiographique d'une millionième adolescente aux parents relativement pauvres, divorcés et malheureux, bien décidée à devenir une femme malgré tout, sous le regard sincère et maladroit d'une caméra lourdement influencée par celle des frères Dardenne elle-même sous influence pialesque. Dans un scénario sous-narratif mais surplombant tout à fait typique, affichant d'emblée la volonté de distiller ses ressorts scène après scène, sans l'appui des dialogues mais par petites touches observatrices, on commence en effet par suivre Lucie, une jeune fille en pleine sortie d'adolescence, charmante mais mal fagotée, qui aide son bon père bourru au travail et qui ne va plus au lycée depuis que sa mère les a quittés pour un autre homme. Son entre-jambe l'intrigue, sa condition ne la satisfait guère, ses relations avec son père sont un poil ambigües, l'ouvrier arabe et sans-papier de ce dernier (Ouassini Embarek) l'attire vaguement, et elle patauge dans la merde (c'est à peine une image…) d'un air rêveur, entre deux caravanes, en attendant qu'il se passe quelque chose dans ce petit microcosme campagnard, marquée à la culotte par une caméra portée qui filme ses mains, ses pieds, ses gestes coupés dans leur élan et raccordés à d'autres semblables ou à ceux de son père, et qui capte parfois un regard plein d'humanité. En somme l'héroïne du film est une fille de Rosetta, et Dieu sait que ce n'est pas la première d'une lignée longue comme le bras et qu'on ne pleurerait peut-être pas tout de suite s'il elle s'avérait en être la dernière.




Mais la réalisatrice se tire à peu près de ce pur traquenard par trois moyens qui méritent d'être relevés. D'abord les acteurs. L'héroïne est incarnée par Pauline Etienne, très jeune, très belle et surtout très bonne actrice, actuellement à l'affiche de La Religieuse, qu'on a déjà pu apprécier dans Le bel âge aux côtés de Michel Piccoli et qui porte absolument le film. Son père est interprété par l'impeccable Olivier Rabourdin, trop souvent cantonné dans des seconds rôles qu'il sait rendre intéressants mais qui mériterait mieux. On le voit ici donner corps et vie à un personnage de père blessé et entêté plus vrai que nature, et il faut le voir dans la séquence de l'anniversaire, où il est totalement ivre et enlace sa fille comme si c'était sa femme. Et puis Florence Thomassin, qui joue la mère, et qui joue un peu moins mal que d'habitude, même si c'est pas la panacée. L'avantage c'est qu'elle passe la majeure partie du film enfermée.




Et c'est là le deuxième élément partiellement salvateur du film : quand la mère revient au foyer pour voir sa fille, le père, de peur qu'elle ne s'installe à nouveau ou ne pervertisse sa gamine, décide de l'enfermer dans une petite remise perdue dans la campagne, et de l'y laisser jusqu'à nouvel ordre. Cet élément de l'histoire surprend assez, d'autant qu'il donne à ce film d'abord si platement naturaliste une dimension de conte inquiétant. Et s'étirant sur presque tout le film, cette situation finit par donner lieu à une séquence particulièrement intéressante en termes de mise en scène. Par quoi l'on arrive au dernier point positif de Paradis perdu. Quand Lucie découvre que sa mère est séquestrée, elle part la délivrer en pleine nuit, profitant de ce que le père est saoul et endormi, mais avant de libérer la prisonnière sa fille veut lui poser quelques questions sur son départ, et la réalisatrice parvient assez élégamment à mettre en espace les personnages : les deux femmes se regardent à travers une minuscule lucarne qui tient presque lieu de miroir (la fille arborant à ce moment-là une jolie robe et le rouge à lèvres de sa mère), ou de gouffre aux chimères. 




Plus globalement, cette séquence est soulevée par les plans de nuit où l'héroïne parcourt la forêt, lieu de transfert de tous les contes, dont les minuscules petites feuilles et brindilles miroitent sous la lueur de la lune (à laquelle l'ouvrier du père avait justement comparé le visage de Lucie). Celle-ci affiche d'ailleurs un air lunaire, radieux et enchanté quand, à l'aube, après avoir fait l'amour pour la première fois, elle redescend d'une colline en arborant un sourire préfigurant celui, immense, qu'elle affichera en courant loin de la maison familiale calcinée, paradis fièrement perdu, dans le dernier plan. Ces petites choses font de ce film, qui avait pourtant tout pour ressembler à tant d'autres et qui a eu la sale idée de s'ouvrir en s'enfermant dans un système thématique et esthétique asphyxiant, une œuvre plutôt prometteuse. D'autant plus prometteuse si Ève Deboise s'écarte à l'avenir des sentiers battus du scénario d'école réaliste et misérabiliste pour se laisser dériver vers l'univers plus enchanteur du conte, et filme les visages de ses acteurs, vivants, regorgeant de vie même, plutôt que des gestes planifiés dans une série de plans explicatifs, démonstratifs, utilitaires, en un mot, écrits.


Paradis perdu d’Ève Deboise avec Pauline Etienne, Olivier Rabourdin, Florence Thomassin et Ouassini Embarek (2012)

2 commentaires:

  1. Anti-Free-Porn02 avril, 2013 17:21

    Pourquoi pas, ouais. Moi ce qui me gène et qui n'a pas été évoqué, c'est l'affiche (apparemment) un brin mensongère et (apparemment) pas mal putassière.

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    1. La scène est bien dans le film, elle symbolise un paradis de l'enfance où Ève est la fille d'Adam, ce qui n'est pas sans poser de légers problèmes. Putassière, étant donné le titre et le sujet, n'est pas vraiment le mot donc, m'est avis, même si c'est vrai que c'est plus un film naturaliste (dans sa plus grande partie) que naturiste.

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