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10 avril 2012

Babycall

D'après mes souvenirs, les réactions des amateurs de cinéma fantastique à l'annonce du palmarès du dernier festival de Gérardmer étaient très partagées. Nombreux furent ceux qui n'étaient pas tendres envers le grand lauréat, le film norvégien Babycall. C'est donc avec une certaine appréhension que je l'ai visionné, peu rassuré par ces réactions et sachant bien qu'un Grand Prix glané à Gérardmer ne signifie, hélas, pas souvent grand chose. Quel ne fut donc pas mon étonnement de découvrir un film de grande qualité, dont le plaisir de la découverte fut, ma foi, assez intense, je dois le reconnaître. Contrairement à ce que son titre ou son affiche peuvent laisser croire, nous ne sommes pas du tout en présence d'une idiote série b, loin de là. On tient là bien davantage qu'un simple et bête film d'horreur, Babycall est plutôt une sorte de thriller social horrifique, pourrait-on dire. Le film de Pål Sletaune brasse des thèmes très ancrés dans la réalité, tout en faisant bercer l'ensemble dans une ambiance tendue et incertaine digne des plus réussis films d'horreur.




Que sait-on au début du film ? Pas grand chose, puisque Pål Sletaune se garde bien de dévoiler les tenants et aboutissants de son intrigue. Nous voyons simplement cette jeune femme, Anna, emménager dans un HLM avec son fils âgé d'une petite dizaine d'années. En fuite, Anna s'installe dans ce petit appartement perdu quelque part au milieu d'une gigantesque barre de béton pour, selon ses dires, échapper à son mari violent et préserver son petit garçon de ses accès de colère imprévisibles. Anna s'occupe de son fils sous la surveillance d'un couple de contrôleurs sociaux zélé et oppressant. Toujours apeurée et anxieuse, elle vit dans la crainte permanente qu'on lui retire la garde de son enfant et que son mari la retrouve. Pour veiller sur son fils et être reliée à lui de nuit comme de jour, elle achète un baby phone. Une fois allumé, celui-ci se met à émettre d'étranges bruits, des cris d'enfants et de femmes, qui plongent encore davantage Anna dans la paranoïa.




Plus le film avance, plus le mystère s'épaissit et s'alourdit. Les pistes que l'on croit sûres se délitent une à une et nos maigres repères disparaissent tour à tour jusqu'à ce moment où l'on se demande carrément comment le réalisateur va bien pouvoir se dépatouiller d'un scénario particulièrement alambiqué. Les éléments de l'intrigue nous sont délivrés au compte-goutte, avec ce savoir-faire propre aux petits malins qui se plaisent à nous mener par le bout du nez. Et si le film, assez glauque et froid, n'est a priori pas spécialement avenant, il est très agréable à suivre comme peut l'être un thriller rondement mené, bien qu'il ne soit pas non plus de tout repos. Le film ne quitte jamais un paysage de banlieue assez austère et inamical, un décor malheureusement universel fait d'innombrables barres grisâtres, qui coupent l'horizon et rendent l'évasion impossible, constellées de fenêtres opaques derrière lesquelles on imagine aisément la même souffrance que celle vécue par le personnage principal.




Le cinéaste tire plutôt brillamment partie de ce lieu étouffant particulièrement propice à l'écrasement et, paradoxalement, à l'isolement ; il ravive avec brio une nouvelle terreur urbaine trop souvent ignorée ou méprisée par l'envahissant cinéma d'horreur américain. Le décor devient ici un personnage à part entière, omniprésent, jouant un rôle majeur dans l'horreur qui se déploie autour d'une femme en chute libre dont on doute systématiquement de la santé mentale. A ce titre, il faut obligatoirement saluer la performance remarquable de l'actrice suédoise Noomi Rapace, plus connue pour avoir joué dans la version scandinave de Millenium et qui sera bientôt à l'affiche du Prometheus de Ridley Scott. Jusqu'à ce film, elle n'était pour moi qu'un très drôle de nom, là encore pas spécialement avenant. Elle porte littéralement le film sur ses épaules, dans le rôle d'une femme à la fois forte et paumée, combative mais broyée par le système. Un personnage que l'on a seulement envie d'aider et de voir sortir la tête de l'eau. Cette femme affolée et prise dans l'étau, à laquelle l'actrice offre son charme particulier, son allure frêle et décidée, semble quasiment sortir tout droit du cinéma des frères Dardenne !




Le film est tout du long un délicat travail sur le point de vue dont se tire parfaitement le réalisateur, coutumier de cet exercice puisqu'il s'y était déjà adonné dans le nettement moins réussi Next Door. Ici, ce travail ne paraît pas artificiel et ne donne pas l'impression d'être un simple gadget pour berner facilement le spectateur. Il est de plus soutenu par une mise en scène très soignée, une réalisation qui ne vise donc jamais à nous tromper gratuitement, mais qui au contraire se donne pour principe de ne jamais tricher. Jusqu'à ses ultimes minutes, le film nous captive et nous fait hésiter entre différentes résolutions. Plus il avance, plus l'intrigue se complique, et le dénouement s'avère forcément un peu décevant. Mais c'est là un bien maigre reproche que j'adresse à ce film, qui parvient jusqu'à son ultime chapitre à nous plonger dans cet état de doute continu et de terreur ponctuelle comme seuls les excellents films du genre y parviennent. A la fin du film, une chose est sûre : nous n'oublierons pas de si tôt le portrait et le regard affolé de ce personnage de femme aux abois, dont nous assistons tétanisés à la lente descente aux enfers. Le jury de Gérardmer 2012 présidé par Enki Bilal ne s'était pas trompé. Il a couronné un film qui mérite clairement d'être salué et mis en avant. A coup sûr l'un des meilleurs films d'horreur de l'année.


Babycall de Pål Sletaune avec Noomi Rapace et Kristoffer Joner (2012)

13 commentaires:

  1. Comment peut-on écrire une critique de Babycall sans nommer Kristoffer Joner? Hein? Franchement?
    C'est parce que tu n'aimes pas sa coupe de cheveux, c'est ça?

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    1. Non non, il est très bien. Mais je ne savais pas où en parler et je voulais en dire le moins possible sur l'intrigue. :)

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  2. ça donne très envie de le voir !

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  3. Tu files bien envie de le mater, et Noomi Rapace est méconnaissable sur ces photos :O

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    1. Tu l'as déjà vue ailleurs ? Moi je l'aime bien en tout cas !

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    2. Oui j'avais maté les deux premiers Millénium (Millénia ?) suédois, un spectacle pas facile à soutenir parce que moche, con, et captivant. Elle y était attifée comme une punk à pas chatouiller, et ça fait bizarre de la voir arborer un côté carrément vulnérable après ça.

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    3. c'est dans Millenium qu'elle est meconnaissable ^^
      excellente actrice en tout cas
      vivement prometheuuuuuuus!!! ^^

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    4. nul à chier trop d'incohérence c'est tirer par les cheveux

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  4. L'abeille coule15 avril, 2012 15:03

    C'est un film très prenant. L'actrice est très bonne dans son rôle !
    Chouette critique :)

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  5. Et toc !

    http://doncacte-nonmais.blogspot.fr/2012/06/babycall.html

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