En l'an de grâce 1986, le cœur d'un réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl entra en fusion, le nuage radioactif fit demi tour à la frontière belge et Roland Joffé remporta la Palme d'Or du festival de Cannes des mains du président Sydney Pollack pour son deuxième film après le très remarqué La Déchirure sur le génocide Cambodgien. C'est de cette Palme attribuée à The Mission dont je voudrais vous parler dans le cadre de notre semaine thématique consacrée aux grands lauréats du festival de Cannes. Après un premier film au sujet déjà périlleux, Roland Joffé, réalisateur britannique, poursuivit sa carrière en abordant immédiatement un autre grand fait historique. Le film évoque les 150 ans d'histoire des réductions Guaranies. C'est ainsi qu'on appelait les missions bâties pour accueillir les indiens Guaranis et pour les évangéliser dans des sortes de républiques autonomes créées par les jésuites et approuvées par le pouvoir colonial espagnol aux confins de l'Amérique du Sud. Suite à des conflits d'intérêt avec l'église catholique et le pouvoir Portugais, ces missions furent compromises et l'entreprise déboucha sur la guerre des Guaranis qui s'étendit de 1754 à 1756.
Le film est raconté en voix-off par le cardinal Altamirano, visiteur apostolique de ces missions jésuites écrivant son rapport au Pape après avoir été envoyé sur les lieux pour, officiellement, estimer le degré d'humanité des indiens, officieusement, pour en signer l'arrêt de mort afin de préserver l'intérêt supérieur de l’Église. Son récit nous présente un prêtre jésuite, le Père Gabriel, interprété par le toujours excellent Jérémy Irons, accompagné d'un frère joué par Liam Neeson, tous deux voués à convertir les Amérindiens à l'amour de Dieu et œuvrant pour les réunir par le travail partagé dans des missions paradisiaques. Mais ils sont très vite rejoints par un chasseur d’esclaves sans pitié, Rodriguo Mendoza, incarné par le Robert De Niro, venu capturé les Guaranis en vue de les vendre aux Portugais. Après une rapide rencontre dans la forêt luxuriante du Paraguay entre les personnages antagonistes que sont le Père Gabriel et Mendoza, le film se détourne étonnamment des peuplades indiennes et de leurs convertisseurs pacifiques pour se focaliser sur De Niro rentrant en ville avec ses nouvelles prises pieds et poings liés. Mendoza a le port altier et fière allure sur son étalon noir quand il croise le regard de sa promise, jouée par la très jolie Cherie Lunghi (alors épouse de Joffé), penchée au balcon et faisant grise mine. On aura tôt fait de découvrir que la jeune femme couche amoureusement avec le frère de Mendoza quand celui-ci est absent, occupé à chasser de l'Indien. Découvrant le pot-aux-roses, De Niro est abattu. Il tire alors cette tronche qu'on lui connaît, cette face contrariée et chiffonnée qui ne donne pas envie de s'y frotter.
Mendoza s'éclipse d'abord, méditant la tromperie de sa femme et de son frère et ressassant certainement son désespoir en les imaginant en train de batifoler dans son dos. Quiconque est cocu se met involontairement à imaginer sa femme dans les bras de l'autre, mais qu'en est-il de la précision des images ainsi fabriquées quand la babouse trompée connaît aussi bien son épouse que l'amant de son épouse ? On se figure assez bien la torture que cela doit être en admirant le visage bouchonné de De Niro. Quelques courtes minutes plus tard, la nuit venue, De Niro rumine encore la trahison des deux êtres qui lui sont le plus chers (et on le comprend), quand il tombe sur son frère au cours d'une fête de village bariolée et bien rythmée. La bousculade a lieu et implique un tiers qui se plaint qu'on lui marche sur les pieds, regrettant ses mots quand De Niro s'approche de lui et lui demande en substance : "Are you talkin' to me ?", dans un échange de regards tétanisant. Le type agressé fait dans son froc et, pour détourner Mendoza de ce conflit en germe, son frère le bouscule à nouveau. S'ensuit une baston qui aboutira à la mort du petit frère judas.
Mendoza s'éclipse d'abord, méditant la tromperie de sa femme et de son frère et ressassant certainement son désespoir en les imaginant en train de batifoler dans son dos. Quiconque est cocu se met involontairement à imaginer sa femme dans les bras de l'autre, mais qu'en est-il de la précision des images ainsi fabriquées quand la babouse trompée connaît aussi bien son épouse que l'amant de son épouse ? On se figure assez bien la torture que cela doit être en admirant le visage bouchonné de De Niro. Quelques courtes minutes plus tard, la nuit venue, De Niro rumine encore la trahison des deux êtres qui lui sont le plus chers (et on le comprend), quand il tombe sur son frère au cours d'une fête de village bariolée et bien rythmée. La bousculade a lieu et implique un tiers qui se plaint qu'on lui marche sur les pieds, regrettant ses mots quand De Niro s'approche de lui et lui demande en substance : "Are you talkin' to me ?", dans un échange de regards tétanisant. Le type agressé fait dans son froc et, pour détourner Mendoza de ce conflit en germe, son frère le bouscule à nouveau. S'ensuit une baston qui aboutira à la mort du petit frère judas.
Après ce meurtre atroce, commandé par la rage, Bobby De Niro s'enferme dans une geôle et dans le silence pour expier son péché. C'est alors qu'un religieux le présente au Père Gabriel (Irons donc), bien décidé à lui venir en aide malgré ce qu'il sait des exactions criminelles de celui qui devrait être son ennemi juré. Quêtant la rédemption, Mendoza accepte de suivre le prêtre dans son nouveau voyage en terre Guaranie mais à une condition : tirer d'un bout à l'autre du trajet un énorme fardeau, littéralement matérialisé par un arsenal d'armes et d'armures amassées dans un sac de cordes que l'ancien chasseur de prime est bien décidé à traîner sans aucune aide jusqu'au cœur de la forêt et à flanc de falaise, sous ces grandes cascades d'eau que Joffé filme avec exaltation. Après être arrivé à destination, Mendoza se convertit et devient frère pour aider, à la suite du prêtre, le peuple Guarani. Plus loin dans le film il sera question de cette foi et de la meilleure façon de l'accomplir. Il sera aussi question de guerre et de la légitimité ou non qu'il y a à se battre pour se défendre, à répondre à la violence par la violence ou à tendre la fameuse autre joue pour s'en reprendre une louchée dans la tronche.
Quand la mission est attaquée par l'armée à la fin du film, Mendoza s'oppose au Père Gabriel et renonce à ses vœux pour combattre auprès des Guaranis dans une lutte sans espoir. Le prêtre quant à lui préconise l'amour et préfère mourir sans opposer de résistance. Joffé filme assez remarquablement ce dilemme tout en représentant avec justesse la barbarie des soldats gouvernés par l’Église catholique. Libre au spectateur de pencher pour l'une ou l'autre vision de la réaction la plus noble à adopter face à une agression caractérisée. Par ailleurs, on est tenté de pinailler face à la vision idyllique des missions jésuites que propose le cinéaste. Les prêtres convertisseurs venus évangéliser les indiens sont légèrement idéalisés et leur accomplissement, ces villages élevés à la gloire de Dieu et ces indiens chantant les évangiles sans les comprendre, sont éclairés avec amour et filmés comme un havre de paix touché par la grâce. Mais c'est oublier que le film est raconté du point de vue du cardinal Altamirano, que le réalisateur filme lorsqu'il découvre les missions avec un regard ébahi, subjugué et ému. Sans compter que Joffé filme son sujet en respectant les points de vues de l'époque qui sert de décor à l'histoire, une époque où la nécessité d'évangéliser les indiens était indiscutable et où la seule discussion possible portait sur la question de la nature des autochtones, humains ou animaux, et sur la possibilité ou non de les convertir à Dieu si jamais on les considérait comme égaux. Ce portrait d'une époque et de ses mentalités, sans jugement à posteriori, donne un grand intérêt au film de Joffé. C'est ce que parvint aussi à faire quelqu'un comme Jean-Claude Carrière dans l'excellente Controverse de Valladolid, qui opposait le dominicain Bartolomé de Las Casas (Jean-Pierre Marielle) et le théologien Juan Ginés de Sepúlveda (Jean-Louis Trintignant) dans un débat quant à la nature présumée des amérindiens.
Quand la mission est attaquée par l'armée à la fin du film, Mendoza s'oppose au Père Gabriel et renonce à ses vœux pour combattre auprès des Guaranis dans une lutte sans espoir. Le prêtre quant à lui préconise l'amour et préfère mourir sans opposer de résistance. Joffé filme assez remarquablement ce dilemme tout en représentant avec justesse la barbarie des soldats gouvernés par l’Église catholique. Libre au spectateur de pencher pour l'une ou l'autre vision de la réaction la plus noble à adopter face à une agression caractérisée. Par ailleurs, on est tenté de pinailler face à la vision idyllique des missions jésuites que propose le cinéaste. Les prêtres convertisseurs venus évangéliser les indiens sont légèrement idéalisés et leur accomplissement, ces villages élevés à la gloire de Dieu et ces indiens chantant les évangiles sans les comprendre, sont éclairés avec amour et filmés comme un havre de paix touché par la grâce. Mais c'est oublier que le film est raconté du point de vue du cardinal Altamirano, que le réalisateur filme lorsqu'il découvre les missions avec un regard ébahi, subjugué et ému. Sans compter que Joffé filme son sujet en respectant les points de vues de l'époque qui sert de décor à l'histoire, une époque où la nécessité d'évangéliser les indiens était indiscutable et où la seule discussion possible portait sur la question de la nature des autochtones, humains ou animaux, et sur la possibilité ou non de les convertir à Dieu si jamais on les considérait comme égaux. Ce portrait d'une époque et de ses mentalités, sans jugement à posteriori, donne un grand intérêt au film de Joffé. C'est ce que parvint aussi à faire quelqu'un comme Jean-Claude Carrière dans l'excellente Controverse de Valladolid, qui opposait le dominicain Bartolomé de Las Casas (Jean-Pierre Marielle) et le théologien Juan Ginés de Sepúlveda (Jean-Louis Trintignant) dans un débat quant à la nature présumée des amérindiens.
Mais je voudrais revenir sur la superbe séquence où Bob De Niro tire son lourd fardeau de métal à bout de corde tout en se hissant difficilement en haut des immenses falaises de la jungle et sous des cascades assourdissantes. Cette scène est magnifique. Voir Robert De Niro en guenilles, tirant la tronche, comme d'hab, avec ses longs cheveux bouclés détrempés, sa barbe hirsute et ses pieds nus écorchés par la roche, forcer sur ses bras et sur ses pattes pour monter un colis inutile en haut d'une interminable falaise, c'est un plaisir des yeux infini. Un plaisir des ouïes aussi, car la musique qui accompagne cette longue séquence est signée Ennio Morricone. Ce cher Ennio ! Comme c'est parfois le cas avec les bandes originales du grand compositeur italien, le morceau est presque irritant, il est lancinant et mime une ascension lente et pénible, épuisante et difficile. C'est presque énervant et dans le même temps c'est envoûtant. A l'image de cette scène que la musique emporte et où nous admirons le grand Robert, l'immense De Niro, beau comme un Dieu, tirant sa charrue impie avec passion comme le Christ portait sa croix.
A la fin de la séquence, les prêtres et Mendoza arrivent enfin au sommet de la falaise et sont reçus par les Guaranis qui commencent par s'inquiéter en voyant débarquer leur nemesis, celui qui a capturé et assassiné des dizaines de leurs frères, même s'il apparaît bien réduit après une telle grimpée et s'il a perdu un peu de sa superbe de conquistador à barbichette. Pourtant Dieu m'est témoin qu'il est plus beau que jamais. Et les indiens semblent être de mon avis puisque l'un d'entre eux s'approche de De Niro, lui met un couteau sous la gorge, l'insulte probablement dans sa langue, et finit par couper la corde qui le relie à son fardeau, qu'il pousse dans la cascade pour ensuite retourner près de De Niro et l'embrasser en riant. Tous les Guaranis éclatent de rire, d'un rire de joie, tandis que Mendoza fond en larmes, épuisé, libéré de sa culpabilité et de sa peine, déchargé de toute sa haine et profondément bouleversé par le pardon que lui accordent sans procès les indiens Guaranis. Il faut voir De Niro chialer comme un bébé, c'est quelque chose que vous n'oublierez jamais.
A la fin de la séquence, les prêtres et Mendoza arrivent enfin au sommet de la falaise et sont reçus par les Guaranis qui commencent par s'inquiéter en voyant débarquer leur nemesis, celui qui a capturé et assassiné des dizaines de leurs frères, même s'il apparaît bien réduit après une telle grimpée et s'il a perdu un peu de sa superbe de conquistador à barbichette. Pourtant Dieu m'est témoin qu'il est plus beau que jamais. Et les indiens semblent être de mon avis puisque l'un d'entre eux s'approche de De Niro, lui met un couteau sous la gorge, l'insulte probablement dans sa langue, et finit par couper la corde qui le relie à son fardeau, qu'il pousse dans la cascade pour ensuite retourner près de De Niro et l'embrasser en riant. Tous les Guaranis éclatent de rire, d'un rire de joie, tandis que Mendoza fond en larmes, épuisé, libéré de sa culpabilité et de sa peine, déchargé de toute sa haine et profondément bouleversé par le pardon que lui accordent sans procès les indiens Guaranis. Il faut voir De Niro chialer comme un bébé, c'est quelque chose que vous n'oublierez jamais.
Pour terminer sur une trivia croustillante, sachez que toute l'équipe du film, et quand je dis toute c'est toute, de Joffé à Irons en passant par Neeson et Morricone (pourtant resté chez lui en Italie, mais le courrier peut porter des germes), toute l'équipe du film a contracté la dysenterie sur le plateau. Le Cast and Crew quatre étoiles venu tout droit d'Hollywood a fait de la jungle sud-américaine un cabinet grandeur nature. Entre deux prises, Jérémy Irons et Liam Neeson jouaient des coudes pour atteindre le pipi-room en premier, c'est-à-dire le fleuve le plus proche, histoire de déféquer tous leurs morts dans une diarrhée en cascade. Mais quand je dis toute l'équipe, c'est toute l'équipe sauf Robert De Niro. Véridique. Alors d'aucuns diront que l'acteur américain number one est un surhomme intouchable, un géant de fer inoxydable, d'autres comme moi penseront plutôt que s'il n'a pas chopé la tourista c'est parce que De Niro souffre depuis des lustres d'un fécalome. Mais le seul moyen de diagnostiquer cette forme de constipation abdominale et abominable étant le toucher rectal, l'acteur préfère souffrir en silence car, comme il l'a déjà glissé dans quelques uns de ses films au détour de dialogues pas toujours appropriés - et notamment dans une scène mémorable des Nerfs à vif - en tournant les talons et en pointant son derrière du bout de l'index, personne n'est jamais passé là et par là jamais personne ne passera. Cette accumulation de matières fécales déshydratées et stagnantes dans le rectum de notre acteur préféré explique peut-être son éternel rictus d'agacement et les accès de colère noire du président du jury sur la croisette lors du dernier festival de Cannes.
Mission de Roland Joffé avec Robert De Niro, Jérémy Irons et Liam Neeson (1986)
La vision idyllique des missions m'avait bien dérangé, même si elle peut effectivement se justifier par le point de vue qu'adopte Joffé. J'ai toujours un peu de mal avec ça ...
RépondreSupprimerBon article en tout cas, c'est une bonne idée de revenir sur cette palme. J'ai vu ce film ya longtemps et comme toi j'avais trouvé De Niro exceptionnel dans son ascension métaphorique vers dieu! Ca me donne envie de le revoir !
Superbe article qui commence par donner énormément envie de voir le film avant de donner énormément envie de faire caca !
RépondreSupprimeroui un bon gros caca bien liquide avec un cerise par dessu
SupprimerÇa donne envie de mater controverse à valladolid !
RépondreSupprimerOui, aussi. Je n'en ai vu que des morceaux.
RépondreSupprimerIl est bien oui. C'est un téléfilm de Jean-Daniel Verhaeghe dont le scénario est adapté par Carrière à partir de son propre roman. C'est un peu du théâtre filmé mais c'est du sacrément bon théâtre donc ça vaut le coup. C'est surtout passionnant historiquement. Le chanoine conservateur esclavagiste Juan Ginés de Sepúlveda est joué par Jean-Louis Trintignant, et le dominicain humaniste défenseur des indiens Bartholoméo de Las Casas est incarné par un poignant Jean-Pierre Marielle, quant au légat du Pape chargé de trancher le débat, c'est Jean Carmet qui lui prête ses traits fatigués.
RépondreSupprimerLa fin est terrible. C'est génial de voir les points de vue de l'époque respectés pour ce qu'ils étaient en considération du savoir dont disposaient les partis d'alors, tout en pouvant juger les propos abjects à l'aune de nos allégations contemporaines. Je peux vous dire la fin puisque c'est historique. A la fin Bartholoméo de Las Casas finit par emporter le morceau, mais comme l'esclavage des indiens représente une manne économique considérable, le légat du Pape décide de changer de cible : si les indiens sont humains, les noirs restent des animaux. D'où l'avènement de la traite négrière. Terrible je vous dis.
Tu ne te serais pas un peu perdu entre Jérémie Rénier et Jeremy (pas Jérémie) Irons? Cela dit, ça donne bien envie de découvrir ce classique :)
RépondreSupprimerJ'ajouterais que cette scène où De Niro tire le poids de sa culpabilité puis fond en larmes une fois arrivé au sommet est indispensable à tout bon fan de l'acteur. Elle m'évoque (sans doute à cause de la douleur, des larmes et du talent d'acteur) la scène de Glory où Denzel Washington reçoit des coups de fouet. C'était quasiment son premier film et Denzel avait obtenu l'Oscar du meilleur second rôle. On comprenait la récompense rien qu'en regardant cette scène, également un "must have" pour tout fan de D. Washington.
RépondreSupprimerC'est vrai que De Niro boueux, cagueux et chialeux, ça m'a donné à penser !
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