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7 avril 2011

Ha Ha Ha

Du cinéaste coréen Hong Sang-soo j'avais déjà plutôt bien aimé Turning Gate, sorti en 2003. Or ayant raté ses autres films, j'étais impatient de découvrir cette dernière œuvre, sortie à Cannes l'an passé et lauréate du prix Un Certain Regard, histoire d'en savoir plus sur cet auteur intriguant. On retrouve ici ce qui semble tenir à cœur à Hong Sang-soo : les relations amicales et amoureuses qui se nouent ou se défont entre différents personnages burlesques, dont au moins un cinéaste... Les personnages sont ici au nombre de six, et ils ne sont pas franchement ce qu'ils semblent puisque l'on rencontre notamment un dépressif constamment en train de rire, un cinéaste qui n'a jamais fait de film, un militaire reconverti poète, un poète qui prétend avoir été commando, ou une mère qui s'est choisi un fils d'élection au détriment du sien. La structure du film est immédiatement installée : deux amis se retrouvent après des voyages à l'étranger et décident de se raconter leurs péripéties respectives en trinquant à leurs souvenirs. La seule règle : ne raconter que les bons moments. Le présent - ces deux personnages qui nous racontent leurs aventures en se torchant assis à une table - est filmé en noir et blanc et en arrêts sur images, à la manière d'un photo-roman. A contrario le passé - leurs souvenirs, qui constituent la majeure partie du film - est raconté en couleurs et en mouvements. En parlant de mouvements il faut dire que le film est riche en travellings (qui sont plutôt des décadrages, le plan partant du buste des femmes pour descendre vers leurs jambes) et en zooms avant, ce qui répond à des nécessités économiques selon le réalisateur (qui a tourné avec très peu de moyens), mais qui se révèle assez souvent intéressant stylistiquement parlant puisque le cinéaste ou le narrateur semblent mettre l'accent sur tel ou tel visage ou détail sans rompre le flux du récit.




Les deux personnages principaux et co-narrateurs du film se cèdent tour à tour la place, racontant leurs histoires respectives par étapes successives et parallèlement l'une à l'autre. A chaque changement de locuteur le film revient au fameux diaporama en N&B du présent pour retrouver les deux compères assis face à face, rieurs à souhait, buvant tout leur soûl et relançant systématiquement le récit de leurs souvenirs par un joyeux "Tchin-tchin" (le film est pourtant bien coréen). Or ce que ces deux amis ignorent, c'est que leurs histoires se recoupent et impliquent les mêmes personnages. Et c'est là que Ha Ha Ha est intéressant, puisqu'il nous raconte deux histoires qui pourraient n'en être qu'une mais qui, vues à travers la subjectivité exclusive de l'un ou l'autre personnages, deviennent indépendantes. D'où ces protagonistes à double-visage et cette obsession des apparences, qui passe aussi dans le scénario par le personnage de la guide touristique qui envisage la qualité de sa propre existence à l'aune d'une figure tutélaire déifiée et écrasante incarnée par un grand héros de guerre corréen ; ou cette dispute au restaurant à propos d'un type sur les quais qui a l'air d'un clochard mais qui n'en est peut-être pas un. Hong Sang-soo, que j'éviterai ici de comparer à Rohmer ou à Resnais comme certains l'ont fait, et sans doute à juste titre, s'en tire assez bien avec la dimension ludique qu'il donne immédiatement à son film, lequel est parfois assez drôle d'ailleurs, mais aussi touchant en d'autres moments, comme à la fin, lors de cette scène de voyage en bus où les deux amants se disent la simplicité et la rémanence de l'amour qu'ils éprouvent l'un pour l'autre.




Néanmoins, on pourrait reprocher à Hong Sang-soo de n'être pas allé assez loin avec cette histoire et de n'avoir pas exploité à fond le potentiel cinématographique à sa disposition pour faire de ce sympathique film un grand film. Avec cette idée d'entremêlement du passé et du présent notamment, le cinéaste tient le bon bout mais ne va pas jusqu'au nœud de son filon, ce qu'il aurait pu faire en appliquant par exemple de façon plus radicale ou plus expérimentale cette volonté d'amalgame, d'influence et d'interpénétration aux récits parallèles et entrecroisés de ses deux narrateurs. Mais c'est déjà refaire le film, qui certes se contente un peu paresseusement d'une bonne idée qu'il n'exploite pas à sa juste valeur, mais qui se révèle tout de même assez original et savoureux, un peu long mais franchement intéressant, et qui est surtout - c'est une belle qualité que partagent certains films presque ratés ou disons loin d'être parfaits - assez stimulant en cela qu'il permet au spectateur de fabriquer son propre film et de le voir par extrapolation dans celui qu'il a sous les yeux.


Ha Ha Ha de Hong Sang-soo avec Kim Sang-kyung, Moon So-ri, Jun-Sang Yu (2010)

5 commentaires:

  1. Bien que j'aie pioncé comme un loir pendant 3/4 d'heure, j'ai trouvé le film sympathique mais un peu ennuyeux. Mais c'est déjà mieux que "Night and day", qui m'avait royalement fait chier (et je ne m'étais même pas endormie, le monde est mal fait).

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  2. Connaissant bien Hong Sangsoo (j'ai vu pratiquement tous ses films sortis en France, hormis celui-ci), il fait rarement, voir très rarement de grands films, mais souvent de bons films assez agréable. Mon préféré classiquement est la femme est l'avenir de l'homme (peut-être aussi parce que le premier que j'ai vu).

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  3. vous êtes bons quand vous êtes pas des petits cons.

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  4. J'ai l'impression que ce film est sorti il y a 10 ans tellement mes souvenirs semblent lointains. Malgré ça, à relire ton chouette article, j'ai vachement envie de lui donner une seconde chance!

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