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5 mars 2011

La Mort de Dante Lazarescu

Je replace tout de suite les choses dans leur contexte. J'ai découvert ce film par l'intermédiaire de son affiche anglo-saxonne (voir ci-dessous), croisée à l'angle d'une rue en Saxe (Allemagne). Cette affiche a eu sur moi l'effet escompté : j'étais d'un seul coup débordant de curiosité et d'envie, je voulais mater ce film sur le champ. Mettez sur un poster, autour du titre du film, des palmes et tout en tas de récompenses, accompagnées de morceaux choisis de critiques élogieuses, et vous aurez un spectateur garanti en la personne de ma vieille ganache crédule. Je suis en effet naïf et bien facile à convaincre. Dans ma cuisine, ouvrez mes placards, et vous y trouverez toutes les "Saveurs de l'année" depuis 2002 date à laquelle j'ai commencé à avoir de l'argent de poche. Et pourtant Dieu sait que ce label convoité n'est pas toujours gage de qualité... Je ne suis par exemple pas prêt de finir la pâte à tartiner goût Speculoos, dont la moitié du pot m'a tout de même permis de colmater toutes les brèches de mon vieux toit. Il peut pleuvoir, ça ne passe pas, c'est diablement efficace, je le recommande à tous les apprentis maçons. Mais bon sang ne tartinez pas ça sur du pain, et encore moins sur du pain de mie Lidl. Je ne suis pas allé à la selle pendant 3 mois. Pendant tout ce temps, quand on me demandait "ça va ?" je répondais "ta gueule, et toi ?". 
 
 
Revenons à cette affiche. J'ai rarement vu une affiche aussi éloignée du film et aussi menteuse. Lumineuse, pleine d'espoir, avec les achs qui attendent d'être caressés... Et ces extraits de critiques si élogieux... Si La Mort de Dante Lazarescu est une "comédie" pleine d'humour, aussi subtilement noir puisse-t-il être, alors les frères Dardenne sont également de grands comiques troupiers qui, à chacune de leur sortie, ameutent tout spectateur qui a envie de se fendre la gueule à coups de hache. A cause de cette conne d'affiche, j'imaginais donc un film assez léger, qui me ferait passer une bonne soirée en compagnie de mes parents. Résultat des courses : mon père a très vite été à cran, littéralement, et après avoir répété 36 fois le mot "glauque", il s'est assoupi jusqu'à la fin. La Mort de Dante Lazarescu n'est donc pas drôle mais alors pas drôle du tout. 
 
Mon padre tirait à peu près la même tronche au début du film... 
 
Nous voici là en présence d'un film roumain nous dépeignant de façon très réaliste et précise la dernière nuit d'un vieil homme réduit à l'état de simple corps dépérissant, trimballé d'un hôpital à l'autre par deux ambulanciers qui sont à peu près les seuls à se soucier un peu de lui. La mise en scène de ce film est plutôt impressionnante, tourné caméra à l'épaule, presque en temps réel, naviguant avec une aisance incroyable dans ce qui semble être réglé comme une horloge. Le début du film, où l'on est coincés pendant près d'une demi-heure dans l'appartement du vieillard malade et ses trois chats, est peut-être un poil trop long et il pourrait facilement refroidir. Mais une fois passée cette première épreuve, les deux heures restantes de ce long-métrage se suivent sans difficulté et même avec entrain. Car il y a très souvent dans ce film une intensité assez rare, qui tient véritablement en haleine. Et lorsqu'il se termine, on garde vraiment une drôle d'impression qui met bien du temps à se dissiper. 
 
...mais 1/4 d'heure plus tard, c'était plutôt ça.
 
Pour finir, sachez que La Mort de Dante Lazarescu est le dernier des films que je conseillerais à quelqu'un amené à fréquenter le milieu hospitalier régulièrement ou tout simplement qui y travaille. Ce monde et la hiérarchie qui y règne nous est dépeint avec précision, réalisme, et c'est peu ragoutant, car on se dit que même si on est en Roumanie, ça doit fonctionner partout pareil, la portée du film étant très universelle. Ce film mérite vraiment d'être vu. Surtout parce qu'il nous dit et nous transmet bien des choses au-delà de celles qu'il nous montre véritablement. C'est un excellent film et là-dessus, heureusement, l'affiche ne mentait pas. 
 
 
La Mort de Dante Lazarescu de Cristi Puiu avec Ioan Fiscuteanu, Doru Ana et Dragos Bucur (2005)

10 commentaires:

  1. J'ai fortement apprécié les légendes des photos :)

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  2. Je ne le verrai donc jamais. J'ai une sainte horreur du milieu hospitalier, et j'ai le bourdon rien qu'à l'évoquer. Du coup je me tiendrai éloigné de ce film cafardeux, mais je le regrette...

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  3. Je rejoins Rémi. Aucune chance que je regarde ça :D

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  4. C'est un film absolument passionnant. Je conseille ma critique, (modestement) passionnante elle aussi : http://chris666.blogs.allocine.fr/chris666-267285-la_mort_de_dante_lazarescu.htm

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  5. Si on arrive à passer cette première demie-heure, le film devient une odyssée absolument stupéfiante et, sur la fin, vraiment très impressionnante. Grand film.

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  6. Super film! à voir absolument!!

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  7. Ca c'est un grand film, l'un des plus grands des années 2000, vraiment brillant à mon humble avis.

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  8. Je fais croquer ce superbe article d'Olivier Père sur le cinéma roumain avec quelques lignes sur ce grand film qu'est La Mort de Dante Lazarescu :

    http://olivierpere.wordpress.com/2012/07/19/pourquoi-le-cinema-roumain-est-grand/

    "(...) Trois ans plus tard, les choses vont radicalement changer avec l’explosion, toujours à Cannes mais dans la section Un Certain Regard, de La Mort de Monsieur Lazarescu (Moartea domnului Lazarescu) de Cristi Puiu, qui va connaître un triomphe critique international, s’imposer comme l’un des films les plus importants de la décennie, et remettre un pays entier sur la carte du cinéma mondial. La raison de ce succès s’explique par l’ampleur romanesque, l’ambition et la puissance formelle d’une œuvre qui fuit la séduction ou l’esthétisme majoritaire pour fouiller dans l’âme et les entrailles d’un pays (la métaphore hospitalière n’est pas fortuite) à la recherche d’une vérité roumaine et sans doute universelle. Le critique argentin Quintin, membre du jury Un Certain Regard qui décerna son prix au film de Puiu en 2005, compare Puiu avec justesse à Balzac dans son projet de proposer une radioscopie de la Roumanie à travers la lente agonie d’un vieil homme sans importance, et de toutes les personnes qu’il va rencontrer entre son domicile et l’hôpital. Une véritable « comédie humaine » miniature. La durée (150 minutes) et la mise en scène (prédilection pour les longs plans, l’hyperréalisme et la fabrication d’un temps réel) installent pour longtemps – jusqu’à maintenant ? – les canons esthétiques du nouveau cinéma roumain.
    Ce chef-d’œuvre inaugural, plutôt que de demeurer une exception monstrueuse et géniale dans un cinéma national sinistré, va engendrer une prolifération rapide et régulière de films extrêmement talentueux réalisés par des réalisateurs plus jeunes ou de la même génération que Puiu (né en 1967), se connaissant entre eux, souvent originaires du même milieu et ayant étudié au même endroit à Bucarest. Ce rapprochement générationnel, sociologique et géographique a bien sûr incité les observateurs extérieurs à parler de « nouvelle vague », mais à la différence du modèle français, il n’y a jamais eu chez ces cinéastes la revendication d’un groupe ou d’un mouvement collectif, mais plutôt l’épanouissement, dans un espace et un temps communs, de fortes individualités artistiques dont les films ont un air de famille car ils puisent tous dans le même terreau, extraordinairement riche, historique, social et culturel. (...)"

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  9. Le gag du mec nommé Félix qui se fait avoir par l'affiche anglo-saxonne et qui, tétanisé, hagard, constate que le film n'est pas drôle mais alors pas drôle du tout, ce gag m'a fait pisser de rire.

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