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6 mars 2008

L'Heure d'Été

Ce nouveau film d'Olivier Assayas ravira ceux que ses dernières œuvres, qu'on pourrait qualifier d'américaines pour aller très vite (du mitigé Demonlover en passant par l'honorable Clean pour finir avec Boarding Gate), avaient laissés en porte-à-faux. Aujourd'hui Assayas revient à ce qu'il avait réussi plusieurs fois, et notamment une fois avec Fin août, début septembre, un de ses plus beaux films. D'ailleurs les deux récits se font écho. Dans Fin août Adrien (François Cluzet), écrivain au succès en demi-teinte, se savait atteint d'un cancer incurable et prévoyait sa mort, que ses amis les plus proches encaissaient tant bien que mal quand elle finissait par le(s) frapper. S'occupant de régler les affaires de leur ami défunt, ces derniers découvraient entre autres un amour récent de l'auteur, amour secret puisque partagé avec une jeune fille de 16 ans (incarnée par Mia Hansen-Løve). Dans L'heure d'été, Adrienne (Juliette Binoche), Jérémie (Jérémie Rénier) et Frédéric (Charles Berling) fêtent en compagnie de leurs enfants les 75 ans de leur mère Hélène Berthier (Edith Scob), qui a passé sa vie à prendre soin de la collection d'œuvres d'art de son oncle, un artiste célèbre, et qui se sachant près de la fin souhaite préparer sa succession sans pour autant ne rien imposer à ses descendants. Ses enfants partis, la vieille dame se meurt dans sa grande demeure. Assayas filme très sobrement et très justement cette solitude propre à une maison vidée de ses enfants. Et puis ce qui devait arriver arrive et Hélène disparaît, laissant ses enfants débattre des questions d'héritage dans un calme olympien, sans grande dispute malgré de profonds désaccords. Puis les trois enfants apprennent que leur mère vivait une profonde bien qu'impossible histoire d'amour avec son oncle. Et savoir ça ne va pas aider Frédéric à se débarrasser des œuvres du grand-oncle, car lui seul est attaché à cette maison de famille et aux trésors qu'elle renferme, tandis que l'autre frère et la sœur préfèrent tout vendre pour assurer leur avenir professionnel en Chine ou à New-York.



Au début du film, qui se déroule donc dans le domaine d'Hélène, Assayas use de mouvements de caméra portée permanents qui rappellent ceux de la ballade dans les bois d'Adrien et Jenny (Jeanne Balibar) dans Fin août. Cette mise en scène mouvementée correspond à des moments de pleine vie pour Adrien comme pour Hélène. Et puis la caméra se pose après la mort de la mère pour passer d'un enfant à l'autre tandis qu'ils exposent leur vues sur la gestion de l'héritage dans une grande scène très "japonisante" (comme le dit Adrienne à propos d'un vase), très orientale en tout cas, qui rappelle Hou Hsiao-Hsien, le maître avoué d'Assayas avec qui Juliette Binoche vient d'ailleurs de tourner un film magnifique, Le Voyage du ballon rouge. Le film connaît plusieurs ralentissements mais renaît sans arrêt et part dans de nouvelles directions. C'est très troublant et très singulier de voir cette œuvre repartir encore et encore vers de nouvelles choses. Et puis les séquences deviennent comme des tableaux. Pour exemple la longue et minutieuse fouille de la maison par des experts qui énumèrent tristement les objets de valeur qui s'y trouvent, alors dénués de toute la poésie que savait leur conférer Hélène, la maîtresse illégitime de l'artiste. Puis les antiquaires déballent les vases et l'argenterie comme en les violant, séquence qui évoque la vente aux enchères de L'éducation sentimentale où les objets appartenant autrefois à Madame Arnoux étaient distribués, bradés sous les yeux impuissants d'un autre Frédéric, à qui ils évoquaient mille souvenirs et deux mille images. Séquence que complète celle où Frédéric (celui de L'heure d'été) et sa femme observent un bureau de leur mère exposé au musée d'Orsay sous les yeux de visiteurs impassibles qui répondent au téléphone en pleine visite.



Et puis le film s'achève sur un retour à la jeunesse. À part Frédéric, aucun des deux autres enfants n'avait connu ou se souvenait de leur grand-oncle, l'artiste Berthier, et ils n'ont de cesse de répéter que cette maison ou ces œuvres d'art ne leur évoquent plus grand chose. Il y a un défaut de communication évident entre les générations. Les deux enfants de Frédéric lui disent que les tableaux qu'il veut leur léguer après sa mort, comme cela se fait de génération en génération dans la famille, sont largement trop vieux pour leur plaire. Avant de mourir Hélène se plaignait que sa fille Adrienne n'eût pas de goût pour l'argenterie du passé. Durant l'anniversaire initial les petits-enfants d'Hélène ne sont à aucune moment dans le cadre avec elle, sauf pour lui dire au revoir. Et enfin, après que Frédéric est allé chercher sa fille au commissariat où elle est en garde-à-vue pour vol à l'étalage et possession de drogues, bien que père et fille soient tous les deux consommateurs de joints le courant ne passe pas et les portes claquent. Ainsi à la toute fin du film, les enfants de Frédéric et leurs amis investissent la maison familiale en passe d'être vendue pour y faire une grande fête avec l'aval de leurs parents qui après tout s'en foutent maintenant que tout est vendu. Et alors Assayas fait un joyeux retour vers L'eau froide (dont le présent film semble être un double adulte, prenant pour sujet les parents de l'héroïne de l’œuvre de 1994), avec une caméra très mobile qui passe d'un groupe de jeunes à l'autre et ne s'arrête jamais tandis que les jeunes filles dansent et que les garçons jouent au foot sur une musique assourdissante. Et puis la fille de Frédéric remplace Virgine Ledoyen qui amenait son amant par la main, par le bout du nez, dans les bois, où personne ne viendra les trouver.



Frédéric est le personnage principal de ce film, celui des trois frères et sœur qui n'est pas d'accord et qui subit ces ventes la mort dans l'âme. C'est le héros, un héros qui va contre deux personnages expatriés aux États-Unis et en Chine, les deux pays où Assayas s'en est allé dans ses trois derniers films. Si ça n'appelle pas au retour décidé d'Assayas en France et vers son plus grand cinéma ça...


L'Heure d'Été d'Olivier Assayas avec Charles Berling, Juliette Binoche et Jérémie Rénier (2008)

11 commentaires:

  1. ah, j'avais de toute façon envie de voir ce film, mais tu m'as donné encore plus envie rémi!

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  2. Qui joue Frederic ? Berling ?
    Tu m'as donné envie en tout cas. Cela dit j'ai peur d'être déçu avec toutes les comparaisons que tu fais (le trio balibar-cluzet-amalric était quand même juste parfait), mais on verra bien.

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  3. Oui Frédéric c'est Berling. Ne t'attends pas à revoir Fin août ou quelque chose de forcément aussi grand ceci dit.

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  4. Très belle critique Rémi. J'aime quand tu fais le con, mais je préfère encore quand tu écris de belles choses sérieuses sur des films que t'as aimés.

    Je faisais partie des déçus des derniers Assayas (surtout Boarding Gate), mais là tu me donnes envie aussi.

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  5. Je suis d'accord avec tout ce que vous dites mais je trouve que les plus beaux moments du films sont ceux qui parlent du rapport à l'objet, de la façon dont l'objet n'a de valeur que lorsqu'on le fait vivre...
    Si les reliquat du grand tonton apparaisse déjà comme à moitié mort dans la maison de la vieille, ils meurent tout à fait lors de leur consécration (Musée d'Orsay)...Ils se trouvent enfermé dans la beauté froide des pièces de musée...Cette question me botte, c'est comme si dans la maison les objets conféraient la beauté à l'ensemble de l'édifice, qu'ils rayonnaient, alors que le musée les empêche de rayonner, l'institution leur file l'étiquette "beau", "oeuvre d'art"...Ce qui fait perdre à l'objet son âme...

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  6. Depuis quand tu me vouvoie cono ?

    C'est tout à fait vrai ce que tu dis. Si cette question te botte je te recommande de lire (quoique te connaissant c'est peut-être déjà fait) "L'invention de la solitude" de Paul Auster, son premier roman, que j'ai commencé y'a 2 jours, et dans lequel il parle précisément de ce que tu mets en avant à propos des objets ayant appartenu à son père et dépourvus non seulement de tout intérêt mais de toute vie, de toute utilité au sens premier du terme (ils sont littéralement inutilisables, bons à jeter) après sa mort.

    Très intéressant ça :)

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  7. Le « vous » c’est avant que je réalise que Félix alignait les photos à droite et toi à gauche ! Je le réutiliserais à l’occasion d’une image centrée donc.

    Pour Paul Auster, non je ne l’ai pas lu…mais ça m’intéresse effectivement !
    Le seul bouquin de lui que j’ai lu était Tombouctou et ça ne m’avait pas particulièrement plu !

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  8. bon, je l'ai vu aujourd'hui même, et je suis tout a fait d'accord avec tout ce que tu as écrit rémi. je n'ajouterais rien d'autre qu'un "c'est un bon film et un bon assayas, oui oui oui".

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  9. Mince je l'ai pas apprécié cet Assayas. Ça aurait pu marcher s'il y avait pu avoir identification / assimilation à ces gros bourgeois plein de fric adultes et leurs questions de succession. C'est le premier truc qu'on s'est dit en sortant du ciné "c'est pas un film pour nous". Je l'ai pas sentie cette émotion dans le lien aux objets, tout m'a semblé beaucoup trop froid. J'ai manqué de sombrer dans un profond sommeil bien souvent. Je suis probablement passée à côté mais c'est un fait, ce film est une grande déception.

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  10. Je n'avais pas très envie de le voir (il m'aura fallu deux ans hé) et il m'a profondément déprimé, ce film, qui est très bien, tout comme ta critique très juste et qui m'aura éclairé les deux ou trois détails que j'avais manqué d'apercevoir.

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  11. excellent regard sur ce film;par contre, je suis atterré par certains commentaires..

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